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LICHENS ARE THE WAY

Ondřej Vavrečka

Comme le dit l’un des protagonistes, un lichen c’est une conversation. Le film aussi se construit autour du dialogue entre deux hommes qui, comme une algue et un champignon, vivent dans un échange continu de soins, de protection, d’amour. Le geste cinematographique de Ondřej Vavrečka nous installe dans un monde minime et plein, où le regard porté sur la nature n’est pas une fuite mais la possibilité d’une alternative radicale au modèle de la croissance et de la destruction continues. Filmé dans un état de contemplation lucide et tendre, Lichens are the way articule regard scientifique et demarche politique: les lichens incarnent une autre forme de vie en commun, offrent une contre-narration pour re-modeler l’histoire collective.

Margot Mecca

Pouvez-vous nous rapporter votre rencontre avec les lichens et les deux protagonistes humains du film ? Comment s’est passée votre collaboration lors du tournage ?

Du fait de mon goût pour le détail et l’observation minutieuse, j’ai rencontré les lichens dès mon plus jeune âge. Je les observais et en maintenant ce regard j’ai rétréci jusqu’à atteindre une taille minuscule, et c’est ainsi que j’ai pu arpenter les paysages monumentaux d’autres planètes en écoutant les histoires fantastiques que me racontaient les lichens. Ma rencontre avec les deux experts du lichen, Trevor Goward et Curtis Randall Björk, qui figure d’ailleurs dans le film, m’a permis de réaliser quelque chose : dans mes réflexions d’enfant, je m’étais partiellement trompé. Bien que les paysages du lichen soient fantastiques, ils ne sont pas extraterrestres ; toutefois, ils sont bien les rapporteurs d’un récit particulièrement extravagant. C’est même l’inverse, finalement. Ils sont la forme même de cette planète, et le récit qu’ils rapportent est la plus grande histoire terrestre. C’est une histoire de vie.

Le film se compose d’une série de plans fixes impressionnants dans lesquels des éléments humains et naturels sont fusionnés de manière continue et fluide. Pourriez-vous nous décrire votre processus de travail avec les lichens, le paysage, et les figures humaines ?

Le film est tourné en 16mm. Nous ne disposions que d’une quantité limitée de matériau brut. Il a été crucial, mais plutôt simple, de décider quoi filmer. Le « scénario » ne découlait pas de ma volonté propre mais de l’histoire que composent les lichens avec les formes de leurs corps. Trevor a su lire ce récit dans la nature et même son collègue n’en avait pas la moindre idée. Notre film est le premier à révéler cette histoire. Par ailleurs, je souhaitais exposer l’ensemble des topos de bases de nos deux protagonistes : maison, nourriture, animal, travail, loisir, etc. En fin de compte, nous avons utilisé l’intégralité des séquences que nous avions tournées. Dans la version finale du film, nous avons seulement modifié l’ordre dans lequel elles apparaissent, ainsi que leur durée. Comme je l’ai déjà dit, les lichens peuvent être perçus comme des microcosmes. Le monde, à notre échelle, est quant à lui un macrocosme. Nous sommes plus vastes qu’eux. Mais eux peuvent vivre plusieurs millénaires ! Leur temps est donc, réciproquement, plus vaste que le nôtre. Nous sommes ainsi un microcosme dans le macrocosme des lichens. Ici, nous plongeons dans le paradoxe. Dans ce sens, le film est un témoignage du respect que j’éprouve pour la vie des protagonistes. Bien sûr, comme nos vies, il se fonde sur des contradictions.

Au début du film, l’un des protagonistes s’interroge sur le silence et le son qui caractérisent l’existence. Pourriez-vous nous raconter comment vous avez travaillé les éléments sonores du film, des voix des protagonistes aux sons de l’environnement naturel ?

Pour entendre le son, il faut disposer de temps et d’un espace. Le son résonne dans l’espace, à vrai dire il crée cet espace et vous avez le temps d’écouter cette résonance spatiale. Sans doute était-ce là l’une des choses que Trevor avait en tête lorsqu’il parlait du silence et du son de l’existence. Techniquement, le son du film est basé sur des enregistrements d’ambiances réelles augmentés d’effets sonores. Nous nous sommes confrontés à la question de la mise en sons des lichens. Quel son produisent les lichens ? De toute évidence, ils n’en produisent aucun que le corps humain soit en mesure de percevoir. Mais puisque « les lichens sont la voie » (Lichens are the way) pour les êtres humains, j’ai voulu leur offrir une voie vers l’humain en retour. Nous avons donc enregistré de nombreux sons que je produisais avec mon propre corps pour donner voix à ces lichens. Je me suis identifié à ces êtres et c’est ainsi que j’ai découvert ce que ça ferait de sonner comme un lichen.

Propos recueillis par Nathan Letoré

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Fiche technique

République tchèque, Slovaquie / 2024 / Couleur / 43'

Version originale : anglais
Sous-titres : sans sous-titres
Scénario : Ondřej Vavrečka
Image : Patrik Balonek
Montage : Sebastián Kučkovský
Musique : Michal Cáb
Son : Jan Richtr
Avec : Trevor Howard, Curtis Randall Björk

Production : Vít Janeček (D1film)
Contact : María Vera Kino Rebelde

Filmographie :
PERSONAL LIFE OF A HOLE (2020) – 62 min., documentary/film-essay, Czech Republic/Finland DE POTENTIA DEI (2016) – 66 min, documentary/film-essay, Czech Republic
THE INTERPOSED (2014) – 99min, documentary/fiction, Czech Republic
ULTIMUM REFUGIUM (2011) – 136 min, documentary, Czech Republic
BEGINNING AND LION / ORIGIN ALEPH (2009) – 124min, documentary, Czech Republic