Die Donau est une transposition cinématographique très originale, dans les paysages du sud de l’Allemagne, du livre de Claudio Magris, Danube.
Quelle a été l’origine, la genèse du film ? Le livre, les paysages ?
J’écris beaucoup à partir des espaces, ils m’inspirent pour imaginer la structure du film et le ton. J’ai une relation forte avec le Danube depuis mon enfance et un voyage à vélo le long du fleuve avec ma famille. C’est le sujet de mon premier long métrage Strange River, que je suis en train de financer. Dans le processus d’écriture du long métrage, l’un de mes mentors de l’EQZE, Michel Gaztambide, m’a recommandé le livre de Magris. J’ai été captivé, fasciné, surtout par sa densité. Les parties que j’aimais le plus étaient celles où Magris parle de son quotidien en voyage et en particulier du mythe du griffon. Il y avait là un film, très légèrement inspiré par ces petits fragments.
L’essai de Claudio Magris descend le Danube, de sa source jusqu’à la mer. Dans votre film, c’est le trajet du personnage du fugitif. Le personnage de l’écrivain, lui, fait le chemin en sens inverse, à la recherche des sources mythiques du fleuve. Pourquoi cette inversion ?
Le Jeune Fugitif est un adolescent qui sort de sa coquille pour découvrir un monde plus vaste, en expansion et vertigineux, tel le Danube qui grandit. Ce qui m’intéressait, c’était que le voyage des deux personnages ne soit pas parallèle, mais qu’ils se rencontrent à un certain point, un croisement. C’est là que le mythe de Magris selon lequel le Danube naît d’un robinet mal fermé dans une maison est apparu. Mais alors, l’objectif de l’écrivain, cette obsession qui le pousse à marcher, provient de la source du fleuve. Il doit donc le remonter.
Au cœur du récit, le film change soudain de nature, en passant de la voix off à une adresse directe du personnage du fugitif, face caméra. Qu’est-ce qui a motivé le choix de ce registre filmique, d’inclure une telle performance ?
D’une part, après mon court métrage précédent, Ella i jo, très silencieux avec quelques voix off, et le début de Die Donau en voix off, j’avais envie de travailler en profondeur avec un·e acteur·ice, un monologue aussi long et complexe. D’autre part, j’ai pensé que si un fugitif ose parler à un·e inconnu·e, c’est parce qu’il a besoin de parler de nombreuses choses qu’il a gardées en lui pendant longtemps. Ainsi les mots sortent comme des images disjointes, des mots esquissés et des souvenirs disparates, sans beaucoup de linéarité. Sur un ton poétique qui s’harmonise parfaitement avec celui du monologue à la caméra, influencé par Fassbinder.
Le personnage de l’écrivain est interprété par Mario Sanz, cinéaste (Zehn Minuten vor Mitternacht, FID 2022), également co-producteur et ingénieur du son sur Die Donau. Pouvez-vous parler de votre relation, et plus généralement de la manière dont le film s’est produit, dont l’équipe s’est constituée ?
Je connais Mario depuis la première année de l’EQZE. Lui et moi avons beaucoup changé là-bas, à la fois personnellement et physiquement. Un jour, lorsque Mario s’est rasé la tête, nous étions tou·te·s très étonné·e·s : est apparu un visage que la caméra désirait. Avec la directrice de casting Clara Rus, également assistante de réalisation, assistante son, étalonneuse, et la compagne de Mario, nous avons pensé qu’il incarnait parfaitement le rôle. Comme Magris, Mario veut tout savoir et s’enthousiasme pour ce qu’il voit et ne connaît pas. L’équipe de tournage devait être très réduite, ce qui a également influencé le choix de confier à Mario la prise de son. Comme l’a dit Clara, cela faisait un bon équilibre, l’acteur étant celui qui demande et obtient le plus d’attention sur un tournage, le preneur de son, malheureusement, étant celui qui en obtient le moins. Mario était aussi très présent sur tous les aspects de la post-production, et il a une société, Orna Cine, relativement nouvelle. C’était donc une très bonne occasion pour lui de devenir coproducteur. Pendant le tournage en Allemagne nous étions cinq dans une voiture. Pour moi, il est très important que tout le monde soit occupé sur le plateau et que chaque personne sache faire plusieurs choses.
Pouvez-vous nous parler de l’autre personnage, celui du fugitif ? Comment l’avez-vous développé ? Comment avez-vous choisi l’acteur qui l’interprète ?
Nous avons rencontré Kevin lors d’un casting organisé dans un lycée allemand à San Sebastián. C’est la première personne que nous ayons vue. Clara était stupéfaite, j’avais plus de doutes. Il était brillant, mais nous devions continuer à chercher pour explorer d’autres options. Finalement nous avons vu treize autres jeunes. Un jour, j’ai commencé à capturer des images de la vidéo du casting de Kevin, en essayant de saisir tous les gestes et réactions de son visage. J’ai constaté qu’il avait naturellement de nombreux registres de jeu. Et son regard allait droit à la caméra. Je ne parle pas allemand, donc c’est lui qui a traduit tout le texte avec ses propres mots, Notre relation était basée sur la confiance. Je faisais confiance à ses mots, à son rythme, etc. J’ajustais des détails. Et il améliorait tout dès la première fois.
Les deux personnages ont en commun de ne pas bien maîtriser l’allemand, de le parler avec un fort accent. Cette altération de la langue, qui lui donne une matière singulière, semble être un enjeu central du film. Pouvez-vous commenter ce parti pris ?
C’est une réaction à la rencontre avec Kevin. Si nous avions trouvé un·e acteur·ice qui parlait parfaitement allemand, ça aurait été différent. Mais cela convenait au récit : il est logique qu’un·e jeune fugitif·ve parle mal une langue, et nous ne savons pas d’où il vient. Cela renforce le sentiment de dépaysement avec le lieu. Et l’écrivain, clairement, n’est pas de là, il peut être d’Italie, d’Espagne ou de Norvège. Il y a quelque chose de beau à ce qu’ils ne parlent pas anglais lorsqu’ils se rencontrent, mais plutôt cette langue qu’ils apprennent tous les deux.
Propos recueillis par Cyril Neyrat.