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AVANT QU’IL NE SOIT TROP TARD

BEFORE IT'S TOO LATE

Mathieu Amalric

The Emerson String Quartet, après 47 ans de musique ensemble, enregistre leur dernier disque Infinite voyage.
Pour cet adieu, le quatuor à cordes a convié la soprano Barbara Hannigan et un film nait.
Leur travail précis et habité, les instants d’enthousiasme et de frayeurs, les recherches et les plaisanteries, la limite d’âge de ces hommes et la flamboyance de cette femme qui se nourrissent l’un l’autre, l’amitié admirative pleine d’ironie et de rigueur, le métier et pourtant la découverte, l’humour comme rouage vers la concentration, l’individu et le groupe… tout cela compose un portrait de la fabrication musicale habituellement invisible.
Avant que chacun reprenne son chemin.

Margot Mecca

Mathieu Amalric

Vous pouvez nous raconter comment est née l’idée de filmer l’enregistrement du disque d’adieu du Emerson String Quartet avec la soprano Barbara Hannigan ?

Dix jours avant la session d’enregistrement, soudain Barbara se tourne vers moi :
« My God… mais ça va être leur dernier disque en fait !… »
Son regard est pris d’un vertige.
Elle avait déjà chanté en concert avec Emerson, mais jamais enregistré et voilà qu’elle réalise que son premier disque avec eux sera aussi leur dernier… !?!
Émue, elle me prie d’en capturer une trace.
Comme les Emerson sont un mythe dans la musique classique, je trouve une production, la possibilité d’arriver avec une équipe mais… haa non, je sens qu’il faut faire autrement. Le studio doit rester l’espace des musiciens. L’intime y est extrême. Musique de chambre, la bien nommée…
Donc fallait faire équipe, mais seul, argent compris !

Comment avez-vous construit la relation avec les protagonistes pour les filmer dans l’intimité de leur métier ?

Grâce à Barbara, je les connaissais. On s’aime… vraiment bien.
Tout est là, à vrai dire, ça se fait à deux, un regard.
Première chose, tu te mets pieds nus pour n’être que silence.
Ensuite, ouh la la ! me placer entre eux, c’était un espace mental et physique qui m’apparaissait infranchissable.
Alors j’ai l’intuition que la froideur de la caméra de surveillance pourrait peut-être paradoxalement relier, faire vibrer ce mystère de l’écoute. 1+1+1+1+1 = …1 !
Mes Lumix GH5-S pouvant se fixer sur de très discrets pieds micros, j’ai commencé par les placer, les allumer (ainsi que mes micros) et m’éclipser pour que la « relation » ne circule qu’entre eux.
Peu à peu, tel un chat affamé, lorsque le rouge n’était pas mis, je me permettais de varier les cadres, d’approcher les caméras (j’aime filmer avec des objectifs fixes). Et, dès le deuxième jour, j’avais passé le cercle, accroupi par terre au milieu d’eux. Leur humour insensé a fait le reste…

Guido Tichelman, l’ingénieur sonore du disque, vous dit dans le film que pour lui le plaisir passe par les oreilles, et pour vous par les yeux. Comment avez-vous affronté le défi de raconter en images un art qui privilégie l’écoute ?

Oui, ça m’a troublé qu’il préfère ne pas les voir pour pouvoir mieux les enregistrer. Le pauvre, je me dis qu’il va rater quelque chose… Du coup, c’est presque par pitié que je viens le filmer dans sa petite pièce à l’écart, pour lui rapporter ce que moi je vois. Et là je comprends : sa vue, c’est la partition. The voice of God ! Lui, seul, voit et entend la musique en même temps.
Et finalement quand tu filmes c’est un peu pareil, l’ouïe, elle passe par leurs visages filmés, leurs corps entiers, ensembles et séparés (pitié, pas que les doigts !). Avec Svetlana Vaynblat, monteuse et musicienne, c’est sûrement comme ça que sont arrivés les split-screens. Ou ces aller-retours entre musiciens jouant/musiciens s’écoutant.
Les regards devenaient des sons et la musique devenait du palpable. Olivier Goinard, mixeur (lui aussi musicien) l’a ressenti physiquement, amplifié par la confiance de Guido qui lui a passé toute sa session, les 25 pistes de micros éclatés !…

Propos recueillis par Margot Mecca

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Fiche technique

France / 2023 / Couleur / 64'

Version originale : anglais
Sous-titres : français

Caméras et prise de son : Mathieu Amalric
Montage : Svetlana Vaynblat
Montage son : Sylvain Malbrant
Mixage : Olivier Goinard
Étalonnage : David Haddad
Assistante monteuse : Mathilde Sari
Post-production : Traffic – Jean Daniel Pillault

avec

The Emerson String Quartet
Eugene Drucker (violon)
Philip Setzer (violon)
Lawrence Dutton (alto)
Paul Watkins (violoncelle)

Barbara Hannigan (soprano)
Bertrand Chamayou (piano)
et
Guido Tichelman (producteur sonore)

Musiques :
Quatuor à cordes N° 2, (Op. 10) d’Arnold Schönberg
Melancholie, (Op. 13) de Paul Hindemith
Chanson perpétuelle, (Op. 37) d’Ernest Chausson

Production : Film(s) – 2023
Contact: Mathieu Amalric

Filmographie :
Mange ta soupe/ 1997/ 1h10
Le Stade de Wimbledon / 2001/ 1h20
Tournée / 2010 / 1h50
La chambre bleue / 2015 / 1h15
Barbara / 2017 / 1h45
Serre-moi fort / 2021 / 1h40
Zorn I / II / III / (2010-2022) / 3h11