Votre film naît des images qu’a laissées votre père de son jardin, tournées sur son iPad. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces plans, et votre décision d’en faire un film ?
Mon père m’a montré de son vivant ses vidéos et je lui ai proposé alors de les monter pour, peut-être, en faire un film. Il a refusé catégoriquement. Après sa disparition, je les ai toutes regardées, il n¹était plus là, c’était une belle manière de passer encore du temps avec lui. Elles nous servaient aussi d’herbier pour savoir quelles plantes poussaient à quel endroit du jardin, jusqu’à ce que les sécheresses successives en fassent disparaître la plupart. Au moment où j’ai pris la décision de faire un film à partir des vidéos de mon père, je les ai montrées autour de moi. J’ai alors constaté qu’elles ne parlaient pas qu’à moi.
En contrepoint de ces plans, vous avez vous-mêmes réalisé des images, principalement de vos enfants. Pourquoi ce contrepoint, filmé dans un format différent ?
Je voulais créer une correspondance aux plans de Jean-Pierre, un dialogue, mais aussi un autre point de vue sur le jardin. J’ai filmé en super 8 et 16 mm noir et blanc que j’ai développé moi-même, au risque d’accidents. Cette démarche lente, artisanale et sensible, le passage au noir pour charger et
développer la pellicule, m’a permis de fabriquer un regard autre sur le jardin. L’argentique granuleux tranche radicalement avec les images iPad hyper-colorées de mon père. Mes enfants et ma mère sont les occupants actuels du jardin. Je les ai filmés parcourant cet espace morcelé.
Vous vous entretenez aussi avec vos enfants, et votre mère, sur votre père et son rapport à son jardin, à la peinture… Comment avez-vous pensé cette place de la parole, du témoignage oral ?
J’ai fait plusieurs tentatives plus littéraires où eux comme moi écrivions et lisions des textes. Mais les discussions enregistrées spontanément étaient plus vivantes. Depuis mon premier film Bondy vu par… je monte la parole sur des images de lieux, je cherche la façon dont le sens peut parcourir
l’espace.
La musique joue aussi un rôle essentiel dans votre film, autant à l’image qu’au son. Pourquoi lui avoir accordé cette place ?
La musique que mes enfants pratiquent quotidiennement fait écho à la culture du jardin de mon père. Je voulais filmer les gestes du travail répété qui transforment le monde, permettent de créer, éveillent les sens. Si on ne voit pas mon père jardiner, mais le résultat de son travail, ses fleurs, son
regard rapproché, sa voix qui traduit différentes heures de la journée, les saisons, je voulais montrer mes enfants engagés dans leur pratique musicale, très proche pour moi de l’attitude de mon père qui a passé sa vie à œuvrer.
Propos recueillis par Nathan Letoré