O Ouro e o Mundo est votre cinquième film tourné au Mozambique, avec dans les rôles principaux Domingos Marengula et Neusia Guiamba, déjà présents dans certaines de vos œuvres précédentes. Pouvez-vous nous parler de la genèse de ce nouveau projet ?
O Ouro e o Mundo raconte une histoire somme toute assez courante au Mozambique depuis près d’un siècle, lorsque des routes goudronnées ont commencé à relier les quatre coins du pays. Les perspectives d’emploi étant faibles dans certaines régions, il est fréquent de voir des hommes d’une vingtaine d’années quitter leur foyer pendant quelques mois, voire plusieurs années, pour travailler à l’étranger ou sur de gros chantiers à l’autre bout du pays, tandis que leur femme reste à la maison et élève seule les enfants.
C’est une situation encore fréquente aujourd’hui, et chaque fois que je retourne à Inhambane, j’apprends que plusieurs de mes amis sont partis travailler dans des usines à Johannesburg, par exemple, ou bien dans les grandes plantations au sud, dans les mines d’or au nord, ou dans toutes sortes d’emplois à Maputo, la capitale.
J’ai écrit une histoire inspirée de tout cela et, inévitablement, la réalité a rattrapé la fiction.
Le tournage aurait dû avoir lieu en 2020 mais, à cause de l’épidémie de Covid, nous avons dû le reporter à l’année suivante. Puis, au moment où nous étions censés commencer un tournage tout à fait conventionnel, j’ai moi-même été contaminé alors que la première vague de la pandémie frappait le pays, entraînant un confinement général qui nous a forcés à tout décaler à nouveau.
J’ai réalisé à ce moment-là que la seule façon de tourner ce film en 2021 était de le faire avec une petite équipe et un équipement réduit au strict minimum. Tout le monde est donc rentré chez soi, à l’exception de mes plus proches collaborateurs. Avec seulement cinq personnes et un camescope mini DV (le seul dont nous disposions), nous avons commencé à filmer nos personnages furtivement et, en fin de compte, nous avons compris que c’était la façon idéale de procéder pour ce film.
Dans O Ouro e o Mundo, toute la distribution est composée d’acteurs locaux non professionnels. Pouvez-vous expliquer ce choix récurrent dans votre filmographie ?
Il y a plusieurs raisons à cela.
Tout d’abord, je n’ai travaillé qu’une seule fois avec un acteur professionnel et j’ai détesté cela. L’acteur a fait du bon travail, là n’est pas la question, mais je n’ai pas du tout apprécié le processus. Au contraire, j’adore travailler avec des non professionnels, et l’une de mes plus grandes joies en tant que réalisateur est de voir ce que ces personnes (qui n’auraient jamais pensé jouer un jour la comédie) sont capables d’accomplir sur un plateau. Je suis très fier de mes acteurs, je trouve que Henrique Bonacho (qui jouait dans mon film précédent, Alva) et Neusia Guiamba (qui joue dans ce film) sont tout simplement parfaits dans leurs rôles, je ne les remplacerais pour rien au monde, même si Sean Penn m’offrait ses services gratuitement.
De plus, pour le genre de cinéma que je veux faire, ils apportent une dimension qu’un acteur professionnel ne pourrait jamais me procurer. Je veux être le plus proche possible de la réalité, et ce serait tout bonnement inenvisageable si je faisais appel à des acteurs professionnels de Maputo (la capitale), qui sont tous issus de la bourgeoisie et qui n’ont joué que dans des feuilletons télévisés. La vie de Domingos et Neusia ressemble à celle de leurs personnages, même si Domingos n’a jamais travaillé dans les mines du nord (si ce n’est pour préparer le film), et je pense que le public le ressent.
Comment avez-vous travaillé avec les acteurs ? Devaient-ils se conformer à un scénario ? Quelle part a été laissée à l’improvisation ?
Au départ, nous avions un scénario assez classique. C’est indispensable pour obtenir des financements auprès des organismes qui subventionnent le cinéma.
Mais lorsque je me suis rendu au Mozambique pour commencer à travailler avec les acteurs, en 2019, j’ai réalisé qu’il leur était impossible de prononcer les dialogues que j’avais écrits. Ils ne comprenaient pas une grande partie du texte, certains concepts développés dans les dialogues et… ils n’étaient tout simplement pas des acteurs professionnels capables d’interpréter un personnage. Alors, après beaucoup de répétitions et de frustration, nous en sommes arrivés au point où Domingos et moi avons décidé de brûler (littéralement) le scénario. Lorsque je suis revenu en 2021, nous avons travaillé tout à fait différemment : je me suis mis à l’écouter davantage, à écouter ce que lui et les autres acteurs avaient à dire et, pour chaque scène, nous avons créé les conditions d’un dialogue constructif autour des sujets qu’ils devaient aborder.
Nous avons donc travaillé avec un scénario très basique, presque entièrement dénué de dialogues. Je dirais qu’environ 70% des dialogues ont été improvisés, mais il y a bien sûr des scènes où tout est scénarisé.
Comment la phase de montage a-t-elle contribué à façonner la structure du film, et comment avez-vous collaboré avec Clément Pinteaux pour cette étape ?
Clément m’a vraiment aidé à abandonner certaines mauvaises idées auxquelles je m’accrochais inutilement. Je n’avais jamais autant tourné pour un film. Il y avait des personnages supplémentaires que nous avons finalement coupés au montage, deux fins différentes, une partie bien plus longue à Maputo… J’étais un peu perdu et il m’a aidé à me concentrer sur l’essentiel pour faire avancer le récit.
Les personnages sont suivis caméra à l’épaule, dans un style minimaliste et précis, créant un flux qui reflète leur précarité. Quels étaient vos choix en matière de direction de la photographie ?
Certaines idées sont venues du fait que nous avions une petite équipe, sans directeur de la photographie professionnel (Raul Domingues est réalisateur et monteur). Nous n’avions presque pas de matériel d’éclairage, mais nous préférions nous en passer de toute façon. Par exemple, il n’y a pas de lampadaires à l’extérieur des mines, et dans les fosses, les mineurs n’utilisent que des lampes frontales. Il aurait été absurde d’avoir une photographie contraire à cet environnement. Nous n’avions pas non plus de trépieds, d’éclairagiste ou d’assistant caméra, nous faisions avec les moyens du bord, et cela nous a permis d’être proches des gens. Raul et moi avons vraiment eu du mal à créer les scènes de nuit, on aurait dit des étudiants en cinéma qui s’échignent à expérimenter des choses – mais nous savions ce que nous voulions.
Le film met en lumière le désenchantement d’une jeunesse à la dérive, à la situation professionnelle précaire et insatisfaisante.
Le scénario initial était bien plus léger et plus drôle. Je connais Domingos depuis son adolescence, mais quand je l’ai revu à Inhambane en 2019, il travaillait dans une station de lavage de voitures pour 45 euros par mois et portait un regard désabusé sur la vie à l’âge adulte. Travailler sur ces questions m’a vraiment fait réfléchir. Dans mon deuxième court métrage tourné au Mozambique, Nyo Vweta Nafta, les personnages parlaient déjà beaucoup de ce problème : partir devient la seule façon d’échapper à l’exploitation et à la pauvreté, même si ce n’est pas nécessairement la panacée. Bien sûr, je ne prétends pas connaître la solution, et le film n’en propose pas non plus.
En effet, la situation ne semble pas plus reluisante ailleurs, pas même en Europe, comme le décrit un des personnages du film avec finesse et lucidité.
Mes amis mozambicains s’imaginent toujours que la vie en Europe est parfaite, car ils ne connaissent que le genre d’Européens qui peuvent se rendre en Afrique pour le travail ou en vacances. Mais ce que je constate en ayant vécu à la fois au Mozambique et au Portugal, c’est que les gens ne sont pas plus heureux en Europe. Certes, les Européens ont plus d’avantages en matière de logement, de santé, d’éducation et de biens de consommation, mais la société y est bien plus individualiste, le sentiment de communauté est bien moins fort qu’en Afrique. Mais il s’agit là d’un débat sans fin…
Propos recueillis par Marco Cipollini