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NAKED ACTS

Bridgett Davis

Cicely, fille d’une star de la Blaxploitation, a décroché son premier rôle dans un film à petit budget. Elle apprend que le rôle nécessite une scène de nu. Comment garder ses vêtements et conserver son rôle ? Redécouverte d’un bijou du cinéma afro-américain, en version restaurée.

Bridgett Davis

Votre film parle d’une actrice qui a subi des actes de violence sexuelle et qui se voit poussée à tourner des scènes de nu contre sa volonté énoncée. Il est actuellement en train d’être réédité par Milestones Films. Pourriez-vous nous en dire plus sur la genèse de ce projet ? Dans quel contexte a-t-il été produit ? Quelle place occupe-t-il dans votre trajectoire artistique ?

Naked Acts a pris forme à partir d’un scénario sur lequel j’avais travaillé pendant deux ans, dont l’histoire s’inspirait des problèmes que mes amies et moi-même avions affronté dans les années 1990 en tant que jeunes femmes noires. Nous réfléchissions beaucoup à la question de la représentation et au portrait négatif qui était souvent esquissé des femmes noires dans la culture populaire et les médias. Je voulais affirmer une position à ce sujet, et je voulais également critiquer l’épidémie de violence et d’agressions sexuelles dirigées contre les filles et les femmes du monde entier. J’avais ces deux problématiques à l’esprit et elles me paraissaient entremêlées. Le cinéma me semblait être la forme artistique la plus naturelle pour m’attaquer à ces questions.
Naked Acts s’est immédiatement imposé comme le projet le plus ambitieux et le plus gratifiant de ma vie artistique. Je n’avais pas encore écrit de romans ou de mémoires ; je n’avais jamais réalisé ni scénarisé de films, et c’était donc ma première œuvre artistique majeure. Je n’ignorais pas que je prenais beaucoup de risques ; mais je n’aurais pas pu deviner que les distributeurs de l’époque jugeraient le film trop polémique. Il s’avère qu’il était en avance sur son temps.

Il y a une dialectique constante entre les situations dans lesquelles se trouvent vos personnages et les situations dans lesquelles se trouvent leurs interprètes. Comment avez-vous collaboré avec ces interprètes ? Et quelle a été leur influence sur l’élaboration de leurs personnages ?

Tout du long de la production, j’ai échangé avec les interprètes quant à leur manière de faire l’expérience des expériences vécues par leurs personnages. J’ai sollicité leur ressenti et leur participation active. Le personnage de Cece est né d’une collaboration entre Jake-Ann Jones et moi-même ; en tant qu’actrice, elle augmentait le rôle de ses propres réflexions et intuitions, et je l’ai encouragée en ce sens. J’ai vraiment eu l’impression que nous construisons le personnage de Cece ensemble.

À travers les personnages de la mère et de la grand-mère, votre film présente subtilement une vision polyphonique, critique, et néanmoins empathique de l’Histoire de la blaxploitation et plus largement de l’Histoire des acteurs et actrices noir·es au cinéma. Comment vous êtes vous située vous-même au regard de cette Histoire ?

En tant que femme noire et cinéphile, j’ai toujours étudié l’Histoire du cinéma noir, et tout particulièrement l’Histoire des actrices noires. J’ai voulu fournir quelques éléments contextuels à ce récit afin que le public puisse éprouver une certaine empathie pour ces femmes noires qui ont choisi de se consacrer à l’art dramatique dans la société américaine. Ce choix implique de se confronter à des obstacles bien particuliers qui découlent de l’Histoire spécifique de la sexualisation des femmes noires dans ce pays. Il est impossible de comprendre les rôles assignés aux femmes noires à l’époque contemporaine sans comprendre l’Histoire des films de blaxploitation ; et il est impossible de comprendre ces films sans comprendre ceux qui les ont précédés dans les décennies antérieures. La représentation de la vie des personnes noires à l’écran participe d’un continuum étroitement lié aux mouvements plus généraux en faveur de la libération noire. J’ai vécu cette évolution de l’intérieur au long des dernières décennies ; il me paraissait important de retranscrire ce contexte en toile de fond du récit que je souhaitais développer dans Naked Acts.

Le propos de Naked Acts résonne évidemment très différemment dans la foulée du mouvement #MeToo. Comment avez-vous considéré ce mouvement, dans sa genèse et dans son développement ultérieur ? Dans quelle mesure pensez-vous qu’il puisse affecter la lecture qui est faite du film aujourd’hui ?

Les problématiques mises en lumière par le mouvement #MeToo ont toujours été là ; il n’y a rien de surprenant à ce que le mouvement #MeToo ait trouvé son élan originel dans la dénonciation, par des actrices, des actes de violence sexuelle qu’elles avaient subi. Dans mon film, Cece se méfie simultanément de manipulations qui seraient exercées par son réalisateur masculin comme par son producteur masculin – des inquiétudes historiquement tout à fait fondées pour les actrices. Toute l’industrie repose sur l’exploitation. Aujourd’hui, grâce au mouvement #MeToo, nous disposons à la fois d’un langage, mais aussi de soutien, lorsqu’il s’agit d’énoncer ces vérités. Je crois que c’est là ce qui confère à Naked Acts sa qualité intemporelle, bien que le film ait déjà 30 ans – il examine et interroge une problématique qui n’a rien perdu de son actualité.

Propos recueillis par Nathan Letoré

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Fiche technique

États-Unis / 1996 / Couleur / 87'

Version originale : anglais
Sous-titres : sans sous-titres
Scénario : Bridgett Davis
Image : Herman Lew
Montage : Brunilda Torres
Son : Pam DeMetruis

Production : Bridgett Davis (herself), Henri E. Norris (N/A)
Contact : Yael Halbron (Kino Lorber)

Filmographie : Naked Acts is Bridgett Davis’ only film to date.