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MONISME

Riar Rizaldi

En Indonésie, aujourd’hui : un duo de scientifiques étudie l’activité du Mont Mérapi ; une documentariste baroudeuse enquête sur les réalités socio-économiques de l’extraction du sable volcanique, accompagnée d’un mineur exploité et désabusé qui lui en dévoile les dessous ; un groupe de paramilitaires fait régner la terreur sur la région. Cette communauté bigarrée, aux buts et aux intérêts divergents , peuple une fresque haute en couleurs qui explore, par ruptures de ton, les logiques à l’œuvre autour du volcan. Riar Rizaldi combine avec allégresse de multiples registres du cinéma, comme si chaque dynamique engageait une esthétique qui lui est propre. Il joue des excès sanguinolents du film d’horreur comme de la précision informative du film documentaire. En résulte un film explosif, imprévisible, à l’image de son personnage principal, ce stratovolcan dont la prochaine éruption, dit la légende scientifique, pourrait conduire à l’extinction de l’humanité, telle un châtiment de la nature contre l’hubris humaine. Chez Riar Rizaldi, l’idée de forces surnaturelles est bien plus qu’un formidable outil de mise en scène et de torsion des réalités qu’il modèle. Des figures fantastiques et incandescentes hantent cette topographie des extractions (celles du sable, des données, des informations) pour mieux questionner la prévalence de la rationalité instrumentale. Elles accompagnent Monisme vers une épiphanie visuelle et sonore qui nous suggère, contre une science figée dans ses propres dogmes, que la croyance en les esprits de la nature, par la relation qu’elle engage, est peut-être l’attitude la plus raisonnable face à la destruction du vivant.

Claire Lasolle

Monisme a été tourné sur les contreforts du Mont Merapi. Comment vous-êtes vous intéressé à cet endroit et aux histoires qui y sont associées ? Ce lieu est-il à l’origine du projet ?

Toutes les personnes ayant participé au film vivent aux alentours de Yogyakarta, à une distance de dix à vingt kilomètres du sommet du volcan. Depuis l’éruption de 2018, le volcan est fermé au public, ce qui signifie qu’on ne peut s’approcher du sommet qu’à quatre kilomètres tout au plus, là où se trouve le plus haut centre d’observation. Toutefois, cette station d’observation est désormais interdite au public elle aussi (heureusement, nous avons obtenu l’autorisation de nous y rendre pour filmer). Depuis 2018, je me demandais pourquoi l’éruption était traitée différemment (en fermant l’accès du sommet au public) que d’autres éruptions antérieures, alors qu’elle était relativement modérée par rapport à celles de 2016 ou 2010 (cette dernière étant la plus grande et plus bruyante éruption depuis 200 ans). Nous avons entamé des recherches et avons sollicité la communauté des vulcanologues. Nous avons alors réalisé qu’il existe une réalité passée sous silence : la science ne peut pas fonctionner comme un outil de prédiction et de prévision pour les personnes qui vivent autour de la colline. Pour assurer la sécurité de la population, la communauté des volcanologues et le gouvernement ne peuvent que fermer le volcan, ce qui crée de nombreuses tensions avec la population locale, qui entretien un rapport mystique avec la montagne et qui utilisait le volcan comme un lieu de culte.

Il est précisé au générique que Monisme a été coécrit avec les habitants qui vivent sur les contreforts du Mont Merapi.  Pouvez-vous nous en dire plus sur leur implication et sur l’écriture du film ?

Nous avons passé beaucoup de temps avec les habitants. Pendant la phase de recherches, entre 2018 et 2021, nous avons voyagé et vécu avec plusieurs personnages du film qui nous ont accueillis. En 2020 a germé l’idée de faire un film avec eux. Pas un film sur eux, mais un film sur Merapi, fait avec ces personnes aux points de vue différents. Il pouvait s’agir de fiction, d’un documentaire, d’un film expérimental, de tout et de rien. Mais il fallait que ce soit un travail collectif. Et il fallait que Merapi soit le personnage principal. Le projet a généré des discussions intéressantes sur l’esthétique du cinéma, en particulier l’esthétique documentaire. La plupart des participant·e·s penchaient pour un film de fiction, car l’idée d’être devant la caméra les mettait mal à l’aise. Quand nous leur avons expliqué que nous avions beaucoup d’expérience dans l’univers du documentaire, ils ont compris qu’il s’agissait d’une approche journalistique. Pour eux, le cinéma devait être une plateforme pour exprimer leurs pensées au sujet du volcan par le biais de l’imagination. Nous avons trouvé cette idée intéressante, et conforme à notre propre vision de Merapi, elle-même influencée par le cinéma (nous avons grandi en regardant une série de films fantastiques des années 1990 mettant en scène le volcan (Misteri dari Gunung Merapi, 1990). Nous nous sommes mis à écrire collectivement, les habitant·e·s de la montagne que nous avons rencontré·e·s nous ont raconté leur histoire, et nous l’avons écrite. Les scientifiques nous ont aussi fait part de nombreuses théories vulcanologiques.

Le film puise abondamment dans les codes des films de série B, notamment d’horreur, mais mélange également d’autres styles d’écriture, dans un flux narratif en perpétuelle évolution qui franchit les frontières entre les genres et qui finit par intégrer des éléments méta-cinématographiques et le tournage lui-même. Pourquoi avez-vous opté pour ce traitement formel ?

Nous avons essayé de fusionner de nombreux éléments cinématographiques pour créer une forme qui corresponde à notre sujet. Les films d’horreur indonésiens de série B constituent notre langage commun, la communauté (nous y compris) a grandi en les regardant dans des cinémas itinérants de fortune. Nous partageons cet amour de l’esthétique du film d’horreur, qui rappelle de nombreux réalisateurs des années 1980 et 1990 qui utilisaient l’horreur pour parler de l’oppression de la dictature militaire en Indonésie. Par ailleurs, je m’intéresse beaucoup aux documentaires sur la nature. La plupart des films sur le Merapi respectent le cadre du documentaire, mais sans impliquer les scientifiques locaux. Pour ma part, j’avais envie de mettre en avant la recherche scientifique qui repose sur les connaissances établies sur place. Je trouve cela intéressant de générer un débat scientifique par le biais d’un film de fiction. Au final, en tournant le film, nous n’avions pas envie de nous cantonner à certaines catégories en particulier. Nous considérions le film comme le volcan : comme quelque chose d’imprévisible. Nous ignorions à quoi ressemblerait le résultat final. Nous ne connaissions que l’histoire racontée à l’écran, mais celle-ci s’est retrouvée mêlée à de multiples éléments épars, ou qui entraient en résonance les uns avec les autres.

Dans le film, vous montrez la réticence initiale des mineurs à s’exprimer librement, ainsi que les difficultés rencontrées par une femme réalisatrice déterminée à faire un film sur cet endroit. Dans quelle mesure ces images reflètent-elles les conditions du tournage de Monisme ?

Depuis le début, nous ne voulions pas que les paramilitaires participent au film. Mais bien sûr, nous avions aussi besoin de contextualiser le film en tant que fiction quand nous les avons rencontrés pour pouvoir tourner au pied du volcan. La présence de paramilitaires dans cette zone est un secret de polichinelle, tout le monde a affaire à eux d’une façon ou d’une autre. De nombreux journalistes se plaignent de ne pas pouvoir couvrir certains sujets près du volcan (en rapport avec la dégradation écologique) à cause de la présence des paramilitaires. Par ailleurs, les femmes scientifiques ont aussi du mal à exercer en tant que vulcanologues sur le terrain, car elles sont confrontées au même problème. Dans un endroit comme Merapi, les notions de fiction et de non-fiction peuvent nous conduire dans des directions et dans des situations imprévisibles.

Propos recueillis par Marco Cipollini

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Fiche technique

Indonésie, Qatar / 2023 / 115’

Détenteurs des droits
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Riar Rizaldi
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