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DANS LE SILENCE ET DANS LE BRUIT

IN SILENCE AND CLAMOUR

Clément Roussier,

Hadrien Mossaz

Soit un train dans lequel ils et elles habitent, arrêté, qui ne va nulle part. Mais nulle part, c’est ici un lieu, précieux : une grande et belle bâtisse aux murs de pierres envahis par le lierre, qui ouvrent sur les champs, le ciel et un silence plein. Clémence et d’autres y ont trouvé refuge. Ici, il est question de ralentir et le film le comprend. De longs plans se concentrent sur des gestes simples (étendre le linge, rouler des clopes). Ils nous laissent le temps d’approcher les protagonistes et d’apprécier les événements qui, dans le silence, prennent toute leur place : le chant des oiseaux, la respiration de la nature sous la caresse du vent, un papier froissé. Rien ne force la porte, les visages, la parole. Si cette dernière est rare, c’est surtout qu’elle ne se presse pas. Clément Roussier et Hadrien Mossaz l’organisent, simplement échangée, ou grave quand elle formule, sans la pesanteur du témoignage, le point de rupture, sinon l’effondrement, qui a entraîné ce repli loin de la violence du monde. Par une sobre mise en scène qui épouse le quotidien et le rythme des un.es et des autres, le duo de réalisateurs traduit un régime de l’attention dans lequel se logent la délicatesse et la douceur du film comme la possibilité du soin. Ils posent au premier plan l’impossibilité d’une ligne de partage nette entre qui jouerait ou ne jouerait pas un rôle, questionnant notre inclination immédiate à la distribution des places et des statuts. Parfois le monde extérieur se signale. Monde qu’il faut bien rejoindre, qu’il faut bien revivre. Et c’est au chaos de la ville vrombissante que nous laissons le personnage de Clémence, emportée par un superbe travelling final, sur la corniche Kennedy à Marseille, au seuil du recommencement. « Le plus important n’est jamais mis en mots ». Peut-être est-ce le grand défi relevé par les deux réalisateurs que de l’avoir mis en images.

Claire Lasolle

Pourquoi avez-vous souhaité tourner votre premier film, Dans le silence et dans le bruit, à la clinique psychiatrique de la Chesnaie ?

À l’origine il y avait notre désir de réaliser un objet ensemble, une manière de réinventer l’être à deux que signifie ou peut signifier la fraternité. La Chesnaie, où Clément avait commencé à animer un atelier en 2019, s’est imposée par la suite. Hadrien est venu une première fois en janvier 2021, il y avait cet intérêt commun pour le monde de la psychiatrie – fruit de lectures et de rencontres, comme souvent. Cet intérêt qui est un désir, en fait. Parce qu’il ne s’agissait pas de venir pour voir, mais pour faire. On a voulu – en s’inscrivant dans le temps du lieu – réaliser un film qui puisse restituer en partie notre expérience. Mais sans jamais y entrer à la première personne. Une caméra témoin qui réactive des possibilités de jeu pour celles·eux qui se trouvent devant elle.

Quel était le projet avec les résidents de ce lieu et sur quelle durée s’est-il déroulé ?

Débuté en 2019, l’atelier qu’animait Clément à raison d’une semaine par mois (un atelier écriture-vidéo ouvert à tous·te·s les pensionnaires intéressé·e·s) a été suspendu pendant la période du Covid. On l’a repris ensuite ensemble. Le projet originel était de réaliser un petit film à chaque période d’atelier, ce qui s’est vite avéré compliqué compte tenu de nos lacunes techniques et, plus généralement, de la temporalité propre à un lieu comme la Chesnaie. Le véritable point de départ du film se situe en janvier 2022, quand nous avons décidé de passer deux semaines par mois dans la clinique. C’était l’unique moyen d’exister dans le lieu et de fédérer un groupe. Nous sommes donc venus pendant six mois et il s’est passé ce que nous espérions : un groupe d’une dizaine de résidents s’est formé avec qui nous avons pu développer la trame du film à venir. Partant du principe que nous ne voulions pas d’une caméra intrusive, que tout devait reposer sur une notion de jeu, donc de collectif.

3. Quelle était la structure du film à l’écriture ?

Un peu anarchique à vrai dire. Nous avons travaillé à partir de situations proches du réel, et pourtant inventées de toutes pièces, littéralement fabriquées. L’atelier et le tournage ont été des lieux de rencontres, d’expérimentations. Dire que nous avions une vision au long cours quant à l’objet qu’est devenu le film serait mensonger. En revanche, après un certain nombre d’allers-retours, lorsque nous avons senti qu’un groupe s’était formé et que nous pourrions tâtonner ensemble, nous avons décidé d’arrêter le projet, c’est-à-dire de le réaliser.

Les protagonistes semblent des personnages romanesques. Comment les avez-vous choisis et comment avez-vous travaillé avec eux ?

C’est l’atelier qui a déterminé les personnes avec qui nous avons travaillé. Nous voulions un film choral, dans lequel chacun serait impliqué dans le processus de fabrication. En ce sens, nous avons exploré avec le groupe autant de pistes que possible. Ça a souvent pris la forme d’un redoublement après passage par la fiction : « Qui suis-je ? Qui je veux être dans l’histoire qui se raconte ? ». C’est peut-être ça qui donne aux personnages la force romanesque dont vous parlez : il·elles·s sont investi·e·s du désir de chacun de se représenter de cette façon-là.

Dès le début du film, une jeune femme s’impose par sa voix douce et affirmée à la fois, Clémence. Pouvez-vous nous parler de cette rencontre avec elle ?

Il a d’emblée été clair pour nous que Clémence serait au centre de l’histoire. C’est assez inexplicable ce genre de certitudes : une façon de parler, de bouger – d’être. Une reconnaissance. C’est ce qui s’est passé avec Clémence.

Pourquoi avoir décidé de tourner la plupart des séquences en plans fixes ?

La structure du film constituée de mises en situations du quotidien a déterminé cette volonté de travailler avec des plans fixes. Rouler une cigarette, étendre du linge, jouer… Nous voulions avant tout que l’inattendu puisse survenir dans un cadre simple et non contraignant. Que ce soit Roman, Sevan, Jeanne ou Simon, tous ont apporté quelque chose qui dépassait le cadre fictionnel par leurs caractères, leurs humeurs. Et aborder cela en plan fixe nous a semblé le meilleur moyen.

7. D’autres plans sont filmés plus librement par les pensionnaires avec des voix off. Pourquoi avoir délégué la caméra ?

Ce travail s’est effectué plus en amont que lors du tournage, dans le temps de l’atelier. Nous voulions que cette caméra assure une continuité lorsque nous étions absents de la clinique, pour conserver l’énergie et pour que chacun puisse s’emparer un peu plus des moyens de la narration.

8. Comment avez-vous pensé le montage avec Clément Pinteaux ?

La rencontre avec Clément a été fondamentale. On a commencé à travailler avec lui entre les deux sessions de tournage et son regard a hautement influencé la suite du travail ainsi que la forme prise par le film. Il y a chez Clément un sens très fort de l’histoire abordée par le biais sensible : « Qui je regarde ? Pourquoi je le regarde ? Comment l’usage de la fiction peut-il renforcer mon expérience émotionnelle ? ». Il a su voir ce que nous avions parfois du mal à voir et qui, finalement, nous ramenait à la genèse du film et à notre présence là-bas. Nous avions été touchés par certaines figures, certaines façons d’être et le film devait se concentrer là-dessus.

Propos recueillis par Olivier Pierre

 

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Fiche technique

France / 2023 / 58’

Détentrice des droits
VIXENS
Jeanne Draut
jeanne@vixens-films.com