Le film aborde de façon libre et non conventionnelle la question de la maternité et de l’émancipation des femmes. Comment ce thème s’est-il imposé ? Pouvez-vous nous parler de la genèse du film ?
Je ne suis que l’enfant de quelqu’un, pas un parent. Lorsque j’ai commencé à travailler sur ce film, j’avais vingt-deux ans et j’ignorais tout de la maternité. Pour être honnête, je n’en sais pas plus aujourd’hui ! Néanmoins, ce concept m’intéresse tout particulièrement. Après tout, la maternité est l’un des rares éléments universels et constants de la division du travail entre les sexes. Les toutes premières expériences et étapes du développement d’un enfant se déroulent le plus souvent aux côtés de sa mère. Dans mon film, je me suis demandé si c’est pour cette raison que la première histoire d’amour ou la première relation d’un individu se noue presque toujours avec une femme. Par conséquent, associons-nous automatiquement les soins et l’affection à la féminité ?
Votre film introduit le concept du « nœud hétérosexuel ». Comment êtes-vous arrivée à cette idée, qui sous-tend tout le film ?
Pour moi, il s’agit d’une description aussi juste que poétique de ce qui s’est produit lors du passage de la féodalité au capitalisme. C’est-à-dire l’invention de la famille nucléaire. Le but était de rendre les deux sexes économiquement dépendants l’un de l’autre. Je pense qu’à l’époque, les gens en avaient conscience. Mais aujourd’hui, on considère l’amour comme la plus profonde expression de nous-mêmes. Pourtant, la façon dont la plupart des gens vivent ensemble n’a guère changé.
Votre film mêle différentes voix et différentes sources discursives. Pouvez-vous nous parler de votre processus d’écriture, et du texte en particulier ?
J’ai le sentiment d’être davantage écrivaine que réalisatrice. J’adore la littérature mais malheureusement je suis dyslexique. Apprendre à lire et à écrire a été un véritable calvaire pour moi. Je ne sais pas trop comment le décrire, mais je suis très dépendante de la parole. J’imagine que c’est ce qui m’a poussée à faire du théâtre et du cinéma. Aujourd’hui, j’ai davantage confiance en mes capacités.
Cependant, la façon dont j’aborde une histoire n’a pas fondamentalement changé. Par exemple, il n’y avait pas de scénario pour ce film. Nous nous sommes simplement raconté l’histoire de Flippa et Furia encore et encore.
C’est ainsi que le film s’est fait. Il est d’abord passé plusieurs fois par la bouche des un·e·s et des autres.
Bien sûr, il y avait aussi des textes, mais ils ont été écrits durant le tournage.
Nous avions une imprimante, ce qui était très pratique. Je me mettais souvent au travail le soir ou le week-end. Durant cette période, tout le monde avait besoin de parler. Je prenais note de leurs pensées et je les développais. Ainsi, le lendemain, j’apportais souvent cinq ou six pages imprimées en caractères 11 sur le plateau. Souvent, les participant·e·s n’arrivaient pas à tout retenir aussi vite. Mais ce n’est pas grave. Je trouve cela plus facile d’écouter quelqu’un qui fait des pauses, qui fait appel à sa mémoire, qui réfléchit. Cette façon de chercher ses mots reflète mon propre rapport au langage.
Vous accordez beaucoup d’importance aux temps collectifs, entre les représentations théâtrales et les moments filmés de la vie quotidienne. Pouvez-vous nous parler du contexte dans lequel vous avez tourné le film ? Quel est votre lien avec le théâtre ? Qui sont vos actrices ?
Si le film comprend tant de formes d’expression différentes, c’est parce que j’ai eu envie de tout essayer. La plupart d’entre nous n’avaient que peu ou aucune expérience des tournages. C’était fantastique, car nous avons pu expérimenter ensemble. On ne s’ennuyait pas une seconde. Certain·e·s intervenant·e·s nous ont contactés. Nous avons mis des annonces aux quatre coins de la ville, dans des crèches, des magasins de jouets… Je crois que c’est ce qu’on appelle un casting ouvert. J’ai aussi contacté moi-même certaines personnes. Des gens avec qui j’étais en cours de théâtre quand j’étais plus jeune, par exemple. Aujourd’hui, je travaille en tant que co-directrice du collectif Bäckerei Harmonie au sein du théâtre Volksbühne de Berlin.
Vous utilisez de très beaux dessins comme support pour la narration. D’où viennent-ils ? À quel moment sont-ils devenus partie intégrante du film, et quel rôle jouent-ils ?
J’admire les tableaux de Charlotte Salomon. C’est mon artiste préférée, et elle a été une grande source d’inspiration pour le film. C’est pourquoi j’ai eu envie d’écrire sur l’image en mouvement. Tout comme elle le fait dans ses tableaux. Et puis j’ai rencontré notre protagoniste, Selma. Elle avait toujours un petit carnet sur elle. Je crois que c’était sa façon à elle de faire des recherches. Plus tard, c’est devenu le journal intime imaginaire de Flippa. Vous savez, le film est tout autant le sien que le mien. Elle se l’est approprié ! Non seulement par son interprétation, mais aussi avec ses dessins. Je lui en suis très reconnaissante.
Propos recueillis par Claire Lasolle