Non sans ironie, ni bravade, James Joyce l’avait prédit : son Finnegans Wake alimenterait une usine à gloses pour plusieurs siècles. C’est à l’intérieur d’une de ses usines, ces fameux « cercles de lecture » (reading circles), que nous entraîne Dora Garcia. Familière des jeux à tiroirs avec l’interprétation (on se souvient de ses films précédents, montrés ici), elle a choisi un décor simple : une petite pièce qu’on ne quittera pas, garnie de livres et de posters du maître, où des amateurs passionnés par le grand oeuvre de l’Irlandais se donnent rendez-vous régulier pour passer patiemment, un mot après l’autre, page après page, le texte de Joyce par le menu. À la fois férus et avertis, aucun d’entre eux n’est pourtant spécialiste professionnel : ce pourrait être une réunion religieuse informelle autour d’un livre sacré, le sérieux, la méthode scrupuleuse y président également. Mais pour dévote d’allure, l’entreprise reste ici laïque. Et réjouie. Et joueuse. Ce texte de Joyce, on le sait, a la particularité d’avoir programmé et son illisibilité et sa traduction infinie, et sa folie et son arraisonnement, et sa transparence interdite et son appel à l’autre reconduit. Comme frappés d’un mal secret et adulé, ces lecteurs s’émerveillent de l’étrangeté d’un exercice pourtant partagé : parler.
Jean-Pierre Rehm
Entretien avec Dora Garcia à propos de THE JOYCEAN SOCIETY paru dans le quotidien du FIDMarseille du 4 juillet 2013.