Dans le village argentin d’Aurora, près de la frontière avec le Brésil, un jeune homme travaille dans les champs, mais rêve de devenir pasteur. Dans l’attente du séminaire, il devient le personnage principal d’un film qui porte son nom. Le pari ambitieux de l’entreprise de Gerardo Naumann et Nele Wholatz se déploie à partir de ce programme en apparence très simple. Tandis que nous progressons dans les strates du récit, les réalisateurs deviennent les conteurs scrupuleux de l’histoire du tournage en train de se faire. Avec la précision de prestidigitateurs affichant leurs cartes au grand jour, ils accomplissent sous nos yeux la prouesse du film : faire le portrait des habitants d’Aurora. Car ces descendants de migrants allemands résistent à se laisser filmer, s’incarnant parfaitement dans la raideur de Ricardo, dans sa détermination à ne jamais regarder la caméra, tout en lui offrant des gestes répétés, pour elle, jusqu’à la perfection. Le film atteint la sienne dans le portrait en creux de cette communauté métissée où l’on parle portunhol et chante la liturgie en allemand, dépassant l’argument du making-of pour devenir un objet subtil, complexe mais limpide, poli comme une pierre aux multiples facettes, et qui ne s’épuise jamais dans la quête de son personnage, paysan-prêcheur, porte-parole et acteur dont le réalisateur finit par prendre la place aux champs, en un geste qui participe de ce métissage.
Céline Guénot