On connaît la particularité du travail, désormais de longue haleine, de Ben Russell, à naviguer sans embarras, avec une attention dénuée de dévotion, entre plusieurs registres. Du documentaire ethnographique scrupuleux au film expérimental débridé, de la réflexion politique acide à la contemplation de la nature, du plan séquence au montage accéléré, du court au long-métrage, c’est toujours une exploration en direction d’une intelligence conjuguée à la grâce qui lui dicte ses contextes et ses méthodes. Titré d’après une réplique d’En Attendant Godot, ce dernier film confirme le mouvement. Nous voilà sur l’île de Tanna, partie de Vanatu, un archipel en Mélanésie. D’étranges rites s’y pratiquent (lever de drapeau incongru), et des paroles sibyllines s’y récitent. À l’horizon de ces scènes : la pratique du « cargo cult ». Cette réappropriation biaisée, comme on sait, de forces supposées occidentales par des ethnies convaincues de leur puissance magique, est mise en place au milieu d’une nature luxuriante et indifférente. Mais ici aucune analyse, aucune volonté d’éclaircissement — au contraire, nous voilà plongés dans cet univers. Seul le titre paraît nous offrir une clef, mais dérisoire : peu importe ce qui a été décidé, si inessentiel que toujours au bord de l’oubli, l’important est de s’y entêter. Pareil entêtement, sans prétention, presque compulsif, serait-il partagé par le cinéma de Russell ?
Jean-Pierre Rehm