Après Elefanten (2000), filmé sur cinq années au zoo de Vienne, Karl Kels, cinéaste allemand à l’oeuvre exigeante et discrète, amorcée au début des années 80, nous livre avec Sidewalk son nouvel opus. Délaissant l’exotisme paradoxal de l’animalité encagée, c’est au commun de l’espace urbain qu’il nous invite cette fois. Un fragment de chaussée pris en surplomb dans une ville quelconque, sans particularités notables. Le protocole rigoureux dont il a posé les bases demeure inchangé : silence de la projection ; caméra fixe ; point de vue unique tel un cadre pictural offert aux changements internes de la composition et aux infinies modifications de lumière enregistrées ici sur pellicule 35mm noir et blanc. Ce plan de vie, ses agitations automobiles et piétonnières, les dessins involontaires que la météorologie ou les nécessités des mouvements du labeur autorisent, Kels en fait d’abord l’enregistrement patient et scrupuleux. Puis, à partir de ce matériel plat, mais surtout amorphe, il construit le montage de son film en une suite de plans obéissant à un rythme métrique, combinant ordre et chaos, mouvement et répétitions.
Ces reprises et variations renvoient aux affinités soulignées entre musique et cinéma, qui lui permettent de renouer avec la fascination primitive des vues Lumière accordant la primeur à la moindre agitation, au moindre éclat de lumière. C’est la tradition des symphonies urbaines qui est ici évoquée, musicalité suggérée comme échappée à la banalité. Mais son orchestration se voit resserrée à l’échelle d’une musique de chambre sur trottoir.
Nicolas Féodoroff