Quel est le point de départ de ce premier long métrage, après plusieurs courts consacrés essentiellement à l’enfance ? Votre rencontre avec Louise ?
J’ai rencontré Louise au cinéma La Clef, à Paris. Je présentais mon précédent film, Tendre, là-bas, un après-midi. C’était le moment où le lieu était en pleine ébullition parce qu’il risquait une fermeture imminente. Du coup, je suis restée à discuter et à boire des verres avec des gens toute la journée. Je me souviens que ce soir-là, il y avait la projection d’un « porno éthique ». Et dans la file d’attente, j’ai remarqué une jeune fille cachée par sa capuche qui m’a tout de suite intriguée. Vingt minutes après le début du film, j’étais toujours dehors devant le cinéma et j’ai entendu derrière moi une grosse voix dire : « Porno éthique, je veux bien, mais si c’est mal joué, c’est mal joué ! ». Je me suis retournée, intriguée, et c’était Louise !
Fantaisie se présente comme le portrait intime d’une jeune femme. Son journal intime tient une place centrale. Quel était le projet ? Comment avez-vous collaboré avec Louise ?
Au départ, Louise m’avait parlé de son envie de faire un film. Au début des repérages, j’étais ainsi partie sur l’idée de l’accompagner dans son désir de mise en scène, et de filmer l’histoire qu’elle voulait raconter. Mais peu à peu, j’ai compris qu’elle n’avait pas envie de raconter une histoire en particulier. Elle avait plutôt un désir de fabulation, voire une tendance à l’affabulation. Le seul espace où elle savait être elle-même, c’était dans son carnet, dont elle m’avait fait lire certains passages. D’emblée, j’avais été frappée par le côté mordant et morbide de son imaginaire. Puis, les jours passant, j’ai été de plus en plus confrontée à la réalité de son rapport au monde, c’est-à-dire la fuite tous azimuts. Quand j’ai été face à cet état chez Louise, je me suis demandé quel était l’endroit où elle vibrait et qui nous permettrait d’entrer en empathie avec elle. J’ai compris que c’était l’écriture. Il fallait que ses textes soient au cœur de la narration. Alors j’ai entamé avec elle des phases d’écriture régulières sur le long cours, en essayant de l’accompagner pour qu’elle puisse creuser et faire quelque chose de cette souffrance qui la paralysait.
Comment avez-vous élaboré le scénario avec Mathias Bouffier ?
Nous n’avons pas écrit de scénario. Avant tout, nous avons vraiment essayé de voir ce qui fait personnage chez Louise. Chaque fois, il s’agissait de rebondir sur le réel du tournage : j’alternais phase de tournage et phase d’écriture et dérushage avec Mathias, qui est aussi mon monteur. Nous essayions à chaque étape de voir quels étaient les potentiels narratifs contenus dans chaque situation, et de développer cela pour la phase de tournage suivante.
Un second personnage, Thomas, apparaît dans une forêt quand le film semble s’ouvrir à l’autre, à la nature, à la lumière aussi. Comment avez-vous envisagé cette rupture dans la narration ?
Pour moi, cette « rupture » est une réponse qui s’imposait : c’était une nécessité narrative autant qu’une nécessité vis-à-vis de Louise. Je souhaitais la déplacer, la remettre en mouvement et esquisser la possibilité d’une métamorphose. Mais encore fallait-il qu’il y ait quelque chose qui mûrisse aussi chez elle. Le film s’est principalement construit autour de deux tournages réalisés à un an d’écart l’un de l’autre, donc deux étés. C’était aussi le temps nécessaire pour penser les choses, et ouvrir chez Louise un espace de disponibilité pour une rencontre. Dans la narration du film, Thomas rejoint Louise dans un rêve partagé.
Thomas Ducasse est un acteur professionnel. Qu’apporte-t-il et comment l’avez-vous dirigé ?
J’ai rencontré Thomas dans un bar, un soir, juste à côté de chez moi. Je ne savais pas qu’il était acteur. J’ai été vraiment marquée par son côté solaire et généreux. Ce qui m’intéressait, c’était Thomas en tant que Thomas. Je crois que c’était la première fois qu’on lui proposait de s’inscrire dans un processus documentaire. Ce qu’il apporte est énorme, parce qu’il est à la fois dans une complète mise en jeu de lui-même, mais il sait aussi jouer des situations et les faire évoluer. Il n’a pas peur de ses émotions ni de leurs manifestations. Il parle beaucoup mais surtout, il sait inviter les autres à s’ouvrir, parce qu’il est dans un rapport de vérité à la présence et à la langue. C’est une sorte de funambule.
Fantaisie est souvent tourné la nuit ou dans des clairs-obscurs. Quels étaient vos choix à l’image ?
Je suis très sensible à la lumière, j’ai un rapport assez contemplatif aux choses. Ce que j’essaie ainsi de mettre en place, ce sont des conditions propices pour accueillir les petites épiphanies qui se présentent lors d’un tournage. Mais en fait, tout ça n’a de sens que si l’état émotionnel de la personne que je filme est juste. Ça ne sert à rien d’avoir une belle lumière si ce qui se passe dans le plan n’est pas vivant. Ce que je filme, c’est d’abord l’état émotionnel de la personne. Ensuite, autour de ça, il me faut composer, assez rapidement, trouver quelque chose qui vient faire ressortir la figure, qui vient l’enluminer.
Le film crée un espace mental, imaginaire, rêvé. Comment s’inscrit la séquence avec les images anamorphosées dans la composition d’ensemble ?
En fait, j’envisage la rencontre entre Thomas et Louise, c’est-à-dire toute la deuxième partie du film, comme un rêve documentaire. Il y avait chez moi une envie très forte de faire tenir ensemble ces deux choses qui, a priori, sont antinomiques : ce qui se passe sur le vif, et en même temps, ce qui est de l’ordre du trouble et qui a à voir avec le rêve. Dans un rêve, on change d’endroit, de temporalité, des personnages apparaissent sans prévenir… Pour moi, le film s’inscrit complètement là-dedans. Et comme dans un rêve, le film est travaillé par de l’inconscient qui remonte au fur et à mesure qu’on s’approche de l’intimité de Louise. La séquence dans la salle de cinéma est comme une réponse émotionnelle de la part de Louise à la rencontre qu’elle ne réussit pas tout à fait à vivre avec Thomas.
Comment interpréter ce titre, Fantaisie ?
Ce mot, « fantaisie », m’a accompagnée dès les prémices du projet. Un imaginaire s’est déployé à partir de ce terme-là et de ses nombreuses significations. Au-delà de sa signification, vieillie, pour dire « imagination », il contient aussi « fantôme » et « fantasme ». Et je trouvais ça très juste par rapport à ce que Louise traverse dans le film. Dans la première partie, elle est hantée par une figure absente, Antoine, et dans la deuxième, elle se laisse aller à ce fantasme, à cette rêverie, cette fantaisie dans la forêt. Enfin, le trajet narratif même du film emprunte quelque chose à la fantaisie musicale, qui s’écrit toujours dans l’instant, comme dans un souffle.
Propos recueillis par Olivier Pierre