Dès les premières images du film, une fracture entre les mondes intérieurs et l’apparence extérieure des personnages devient évidente. Quels aspects de cette dualité ont attiré votre attention et comment cela a-t-il influencé les fondations de MACDO ?
Les questions qui ont fait apparaître MACDO ont commencé à rendre visite à mon esprit dans l’intervalle entre l’adolescence et mes années de jeune adulte. En grandissant, je trouvais un sentiment d’appartenance dans les personnages de fiction. J’étais fascinée par la possibilité d’observer ce que cela signifie d’être « humain » – dans toutes ses peurs, désirs, et transformations. L’idée qu’un jour, j’aurais la possibilité de ressentir toute la gamme d’émotions qui existe hors des limites de l’obéissance et du service qui gardent souvent l’enfance en otage, m’enivrait.
J’ai passé mon enfance à attendre et à me préparer à l’excitation de la liberté et de l’expression. J’ai été déçue de constater qu’être adulte ne signifiait pas être libre, mais revêtir les masques les plus insipides. J’ai ressenti un impératif : aller trouver la vérité où je l’avais déjà vue en action ! Pour moi, ça a été au cinéma.
Imaginez mon peine lorsque je suis arrivée pour la première fois sur un plateau de tournage et que j’ai découvert que les mécanismes du cinéma narratif conventionnel n’étaient pas une extension de la déambulation et la liberté, mais plutôt des règles, des limitations, et un ensemble de principes moraux provenant monde adulte déconnecté du cœur que j’étais en train de fuir. La surplanitication, les répétitions inutiles, la rigidité d’une structure en trois actes et un impératif pour les personnages de s’insérer dans ces paysages archaïques dépouillés, le corps maladroitement positionné pour que la caméra capture la « bonne » image…
J’ai commencé à graviter naturellement vers un cinéma qui s’écarte du mode de représentation institutionnel. Plus que formelle, cette recherche était morale. J’ai développé une obsession pour le fait d’écouter des cinéastes parler du medium et de leur travail. J’ai aussi participé à des ateliers avec des cinéastes comme Victor Erice et Naomi Uman. Le cinéma d’auteur est devenu une lumière où placer mon intuition et mes sens d’enfant comme sources directrices pour faire le film que je voulais voir.
MACDO est, dans son essence et dans sa forme, une exploration des limites entre l’amour et la violence, la colère et la joie, la réalité et la fiction, le passé et le présent, et entre ce que nous révélons et ce que nous choisissons de dissimuler. À plus d’un titre, MACDO est un striptease.
L’esthétique du film évoque les vidéos faites maison, par l’instabilité et le grain typique des images amatrices. Comment en êtes-vous arrivée à adopter cette forme particulière de mimesis visuelle ?
Dès le début, j’ai relié MACDO à quelque chose de préexistant, qui me donnait des instructions pour l’emmener au monde. Tous les éléments qui donnent de la substance à la création se sont manifestés dans ma vie : j’avais un besoin et une clarté très fortes d’explorer le sujet, des artistes talentueux de différents domaines du cinéma me contactaient afin de travailler ensemble, des signes et messages me montraient partout que le moment de faire le film était arrivé.
À ce moment là, je travaillais comme assistante de développement, et ces revenus et mon temps libre étaient mes seuls moyens de subsistance. Je me suis vite rendue compte que pour réussir à faire de MACDO une réalité dans ces circonstances, j’allais devoir m’investir dans un exercice d’observation et d’actions précises.
Grâce à une écoute consciente, le chemin s’est révélé étape par étape pour faire exactement le film que j’étais censée faire. Pourriez-vous imaginer MACDO filmé en haute définition ? La majorité de sa puissance en serait sacrifiée. Je suis reconnaissante envers les limites qui m’ont poussée à utiliser la caméra de ma famille, la caméra de Amat (le producteur exécutif du film), et une autre caméra que j’ai trouvée à 50 euros sur Facebook Marketplace.
Le film semble dépendre largement de l’improvisation, mais transmet un fort sens de composition formelle. Comment s’est passé le processus de préparation avec l’équipe, et comment le tournage s’est-il déroulé ?
Pour MACDO, je n’étais pas vraiment intéressée par le fait de raconter une histoire, mais plutôt par celui de créer une boîte de Petri, ce que j’ai souvent nommé un espace fictionnel, où les questions qui m’ont menée à faire des films ont trouvé une réponse, pas de manière préméditée, mais plutôt comme des révélations qui se manifestaient en temps réel. Pour la planification du tournage, je me suis tournée vers mes racines de danseuse.
Rien n’est plus excitant et puissant que de faire fondre le présent et de n’avoir qu’une chance pour mener une performance à terme. En entrant dans le flux du présent comme groupe, tout finit par arriver au moment exact où cela est nécessaire. Negin Khazaee, la directrice de photographie du film, qui opérait la caméra A en tant que Nounou, en est l’exemple parfait : elle est Iranienne et ne parle pas espagnol. Néanmoins, en examinant les images capturées par la caméra, un très beau pas de deux est révélé dans le dialogue et les actions des personnages. Cela peut seulement être le résultat d’un abandon collectif à la source.
Je voulais que chaque personne sur le tournage puisse être investie dans les événements à partir du même mystère et de la même incertitude que ceux dans lesquels opèrent la vraie vie, et c’est pourquoi personne n’a lu le scénario. Le fait que nous étions tous en train d’interpréter l’une des traditions les plus populaires de notre pays, que chaque acteur avait déjà répété de nombreuses fois dans sa vie, nous a fourni exactement ce qu’il fallait de prévisibilité.
J’ai travaillé individuellement avec chaque acteur et notre approche à la performance ne s’est pas faite en tant que personnages, mais en tant qu’alter egos. La « fiction » a commencé une heure plus tôt que prévu, parce que dès que nous avons revêtu nos costumes, la famille fictionnelle a utilisé nos corps comme vecteurs. Je dis « nos » parce que j’ai incarné Estelle, l’hôtesse enceinte dans le film. D’une certaine manière, ma performance est devenue autobiographique : comme elle, j’ai été hôte du tournage et j’ai amené quelque chose à la vie. Je me suis assurée de tirer ce type de parallélismes pour tous – à mon sens, c’en a été l’ingrédient principal.
L’intégralité de l’histoire se déroule le jour du réveillon de Noël 1997. Qu’est ce qui vous a poussée à choisir ce moment et cette époque spécifiques ?
Comment l’amour peut-il être si douloureux et est-il possible que cette douleur pénètre dans chaque aspect de notre vie, même les plus infimes ? Cette question m’a amenée à une rétrospection, qui s’est naturellement terminée par des souvenirs d’enfance. Il y avait quelque chose de tellement beau dans les fêtes de Noël qui, en grandissant avec ma sœur, s’est transformé en horreur, dès que nous avons commencé à décoder le langage et les dynamiques des adultes.
Le nectar de la vérité rend les contradictions juteuses, et rien n’est plus contradictoire que les agressions passives lors de la fête de famille la plus sacrée.
Faire un film d’époque avec un petit budget est une entreprise fascinante. Pour créer le concept de la décoration, j’ai travaillé avec Nohemi Gonzalez, qui a travaillé sur Stellet Licht, l’un de mes films préférés. Elle a fait remarquer que la clef de la justesse pour faire ce film d’époque se trouvait dans les placards de ma famille.
Au Mexique, dans les années 1990, dans la région où j’ai grandi, les femmes au foyer se retrouvaient et créaient des décorations de Noël maison – jusqu’à des housses festives pour les toilettes. Cela m’a paru plein de sens et de beauté. La majorité des décorations sur le sapin de Noël dans MACDO ont été faites par ma mère lorsqu’elle était enceinte de moi.
Ensuite, pour la scène de la chambre, le seul lit disponible était précisément celui dans lequel mes parents dormaient lorsqu’ils étaient jeunes mariés et lors de leurs vingt premières années de mariage. C’est très probable que j’ai été conçue dans ce lit même… une fois de plus, des parallèles autobiographiques émergent. Ce type d’éléments ont apporté leur propre énergie au tout, ce qui a maximisé l’autonomie de MACDO comme entité.
Propos recueillis par Marco Cipollini