Dans Appuyé au mur (FID2021), Jacques Meilleurat s’était mis en scène dans le rôle d’un homme racontant une enfance et une adolescence volées par des adultes ayant abusé sexuellement de lui. Saisissait, déjà, l’énigme de l’autoportrait. De ce film âpre et bouleversant, Si petite apparaît comme une forme de reprise, de variation qui porte la tension et l’émotion à un degré encore supérieur. La prouesse s’opère à partir du récit éponyme de Frédéric Boyer. Si petite : le titre désigne une enfant de 8 ans sauvagement assassinée par ses parents après des années de sévices. Le fait divers, en 2009, avait fait grand bruit, et forte impression sur l’écrivain au point de le hanter durablement. Le texte qu’il publie en 2024 n’a pas tant pour nécessité de raconter le calvaire et l’assassinat de la petite – même s’il le fait, avec une maîtrise narrative qui glace et comble notre appétit pour ce genre d’histoire – , mais plutôt d’interroger, précisément, « ce que cela dénonçait de notre désir d’histoires, et de notre rapport au mal. » Rien d’autre n’est entendu que les phrases de Boyer, dites par Meilleurat d’un souffle quasiment ininterrompu, d’une voix basse et caverneuse au bord du murmure, comme pour lui-même. Servir un texte, faire entendre une écriture : mission dont le cinéma s’est souvent acquitté. L’opération de Meilleurat, qui déplace et radicalise celle d’Appuyé au mur, est autrement plus troublante. Seul avec le texte, seul devant comme derrière la caméra, le cinéaste se met en scène et se filme en écrivain. Il se met littéralement dans la peau, sinon de Frédéric Boyer, du moins de l’écrivain écrivant le texte que fait entendre sa voix. Il le fait dans des plans qui taillent des morceaux de visible dans des ténèbres plus noires que la plus noire des encres. Le visible, c’est son visage, sa main qui écrit, l’écriture qui remplit les pages d’un carnet. Rien de plus, ou très peu. Autoportrait, encore. Mais pas en victime du mal : en artiste-narrateur qui cherche à s’expliquer avec lui-même de sa fascination pour le mal, de son plaisir à le raconter ; qui raconte aussi pour examiner sa conscience, pour interroger, par l’exercice solitaire de la confession, le mal en lui et les limites de son humanité. Le texte est d’une rare puissance, d’une limpide beauté. Rivant le spectateur aux phrases et à la chair de celui qui, auteur et lecteur, les écrit et les prononce, le film l’embarque à la vitesse de son urgence : celle du texte, de l’écrivain à l’écrire, redoublée par celle du cinéaste à en faire un film, à peine lu. Reste l’insondable mystère de l’incarnation, qu’éclaire une phrase de l’écrivain reprise par le cinéaste : « Je rêve que je manipule avec mes mains des films déroulés, que je suis à la fois le projecteur et le spectateur. » Et l’écran : appuyé au mur, brûlé par la lumière.

Cyril Neyrat

Entretien

Jacques Meilleurat

Si petite est au départ un livre de Frédéric Boyer publié en 2024 chez Gallimard. Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce récit pour réaliser votre film ?

Ce qui m’a décidé, c’est les qualités d’écrivain. J’ai été saisi par la pureté de l’écriture et sa simplicité.

Comment avez-vous traité le texte original dans l’écriture de votre scénario ?

Tout ce que je n’aimais pas dire du récit, je ne l’ai pas retenu.

Vous vous mettez en scène dans le rôle de l’écrivain au travail. Pourquoi ce part pris avec quelques variations au fil du film ?

C’était ma vision, je devais prendre la place de l’écrivain. J’ai été bressonien, mais je n’ai aucun goût pour le culte de Bresson. Je ne voulais pas que le film perde de son intensité. Je ne sais pas. Peut-être il y a des plans morts.

Si petite est tourné en plan fixe, en noir et blanc, avec la découpe simple de la lumière et des ombres dans certaines séquences. Pourquoi cette mise en scène épurée ?

Ça reste une énigme à moi-même. J’avançais dans une espèce d’inconscience de ce que je faisais.

Pourquoi cette séquence particulière sur le cinéma dans le montage et le choix de ces deux extraits de films en particulier ?

J’ai feuilleté des livres, Le Cinéma fantastique et ses mythologies de Gérard Lenne… Je voulais faire renaître, le temps d’un bout de séquence, cette lumière d’autrefois et la sensation qui devait être celle d’avant.

Pourrait-on considérer Si petite, au-delà du fait divers, comme une méditation sur notre rapport au mal ?

Oui et assez vite, on voit une interrogation sur les puissances du mal. Le rapport au mal et à l’amour de l’écrivain.

Le texte est entendu en voix off à l’exception de la fin du film où vous parlez à l’image. Quelle valeur a cette séquence cruciale ?

Je devais montrer à un moment le narrateur lisant le passage beau et terrible « sous le poids du mal commis. ».

Si petite rejoint certains thèmes de vos films et semble avoir une résonance particulière pour vous.

J’aime les récits qui bousculent sur la base de faits divers. Des moments qui sont vrais, où l’on sent la vie, le sens du détail.

Propos recueillis par Olivier Pierre

Fiche technique

  • Sous-titres :
    -
  • Restrictions  :
    Déconseillé aux moins de 12 ans
  • Scénario :
    Jacques Meilleurat
  • Image :
    Jacques Meilleurat
  • Montage :
    Jacques Meilleurat
  • Son :
    Jacques Meilleurat
  • Production :
    Jacques Meilleurat (cinq films)
  • Contact :
    Jacques Meilleurat