Comment avez-vous choisi les participants et comment avez-vous collaboré avec eux ?
Les participants sont toutes les personnes qui ont voulu participer. Je travaille toujours comme ça, tout simplement avec les gens qui sont intéressés par les propositions. Si quelqu’un a envie de participer, j’en suis ravie et on trouve ensemble quoi faire. J’ai été présente sur le temps de travail durant ces années et quand j’étais là, les personnes pouvaient choisir entre participer au tournage ou faire leur travail habituel.
L’idée de mise en scène avec les objets en vente, la reproduction de photos de mode pour aboutir à un catalogue révèle une pratique artistique qui se développe au cours du film. Quelle était l’implication des travailleuses et travailleurs ?
Nous avons commencé en photographiant des objets dans l’idée de faire un catalogue et des photos de présentation pour le magasin. Pour les vêtements et les meubles, nous avons pensé que ça marcherait mieux avec des personnes, des modèles. Les photos sont devenues des portraits. Nous avons fait les shootings ensemble, chacun·e proposait des choses. L’impression de photos a aussi permis de se rendre compte des choses possibles. Chacun, chacune s’est investie selon son envie et selon son goût pour la mise en scène, la prise de son, le jeu, le mannequinat… Comme le projet n’avait pas de temporalité prédéfinie, ni d’écriture, ça maintenait les choses suffisamment ouvertes pour que chacun·e trouve sa place. Pour l’implication, il y a eu aussi une étape en 2022 : nous avions fait un premier film et il a été sélectionné au festival C’est pas du luxe ! Toutes les compagnes et tous les compagnons de la communauté sont venus le voir et quand on a appelé l’équipe du film, alors que j’imaginais devoir aller parler toute seule, elles et ils sont tout·e·s venu·e·s, à soixante, sur scène pour parler de leur film. Je pensais que je les embêtais avec mon trépied et pas du tout, elles et ils étaient fier·e·s de leur film. J’étais tellement heureuse qu’en rentrant, j’ai proposé de continuer et trois ans après, on a fait Bonne journée.
Un humour discret, une certaine auto-dérision caractérise aussi Bonne journée.
Le magasin Emmaüs contient tout, chaque objet ouvre sur quelque chose, il y a des trouvailles incroyables et des juxtapositions qui déjouent l’ordre établi. Évoluer au milieu des restes d’une société donne une certaine distance quant à ses valeurs. On peut incarner toutes sortes de choses et on s’amuse évidemment. Dans le magasin Emmaüs, qui représente une économie parallèle des objets, le temps de l’atelier a représenté un pas de côté par rapport au travail quotidien, on s’est mis à regarder le magasin comme un théâtre ou comme des loges. Un grand vestiaire où puiser de quoi mimer le merchandising et ses techniques de production de désir, qui, rejouées, acquièrent sûrement un humour discret et un peu de poésie.
La majorité du film est tournée en plans fixes, comme des tableaux, et la composition de certains ressemble à des natures mortes. Qu’en pensez-vous ?
Beaucoup de plans sont des images qui se mettent en place, on voulait produire des photos façon catalogues ou télé-achat, ce cadre fixe est donc celui des photos du catalogue, en même temps que celui du film. Par ailleurs, je tourne souvent seule, donc j’aime toujours faire des plans fixes, ça me permet de me concentrer sur plusieurs choses pendant qu’on tourne.
Les paroles sont très rares mais la bandes-son a fait l’objet d’un travail collectif notable. Pouvez-vous nous en parler ?
La rareté des paroles, c’était au départ par timidité, des personnes du Emmaüs et de moi. Par ailleurs, en 2022, j’ai fait le montage d’un film, à partir d’un projet que j’avais commencé en 2016 (Construire les liens familiaux), dans lequel je n’ai finalement gardé que les silences. Cela laissait apparaître d’autres choses et c’est finalement devenu une façon de travailler. Les six personnes au son n’ont pas travaillé ensemble mais sur les quatre ans où j’ai tourné, j’ai été aidée par différentes personnes.
Petit à petit, les photos sont exposées, les vidéos de présentations des objets sont diffusées dans le magasin et c’est les travailleuses et travailleurs qui semblent regarder les visiteurs et les spectateurs. Un déplacement du regard s’est opéré.
En effet, ce jeu de miroir, de regard et de mise en abyme est présent tout au long du film. Le regard s’élargit, les photos sont faites entre compagnons, puis il y a l’exposition avec les clients, et on élargit avec le film, les spectateurs sont donc inclus dans le processus. Le spectateur se sent regardé aussi parce qu’il sait de quoi on parle, ces objets sont les siens, ces images aux airs publicitaires lui sont familières. Les différentes productions du projet coexistent aussi, l’atelier, les photos, le catalogue, et le film qui fait partie de cet ensemble, il est une production parmi les autres.
Bonne journée questionne aussi l’économie capitaliste à travers ses modes de représentation.
C’était important de montrer ces photos, ce catalogue, ces vidéos, ce film, et de développer une pratique commune de l’image. Le fait de reprendre des formats que l’on croit dédiés à la publicité et au commerce pour en faire des formes à regarder, juste des images, des portraits. Le capitalisme transforme tout en marchandise, le temps d’atelier était un temps différent qui détournait les objets et le travail vers d’autres fins.