Soit un train dans lequel ils et elles habitent, arrêté, qui ne va nulle part. Mais nulle part, c’est ici un lieu, précieux : une grande et belle bâtisse aux murs de pierres envahis par le lierre, qui ouvrent sur les champs, le ciel et un silence plein. Clémence et d’autres y ont trouvé refuge. Ici, il est question de ralentir et le film le comprend. De longs plans se concentrent sur des gestes simples (étendre le linge, rouler des clopes). Ils nous laissent le temps d’approcher les protagonistes et d’apprécier les événements qui, dans le silence, prennent toute leur place : le chant des oiseaux, la respiration de la nature sous la caresse du vent, un papier froissé. Rien ne force la porte, les visages, la parole. Si cette dernière est rare, c’est surtout qu’elle ne se presse pas. Clément Roussier et Hadrien Mossaz l’organisent, simplement échangée, ou grave quand elle formule, sans la pesanteur du témoignage, le point de rupture, sinon l’effondrement, qui a entraîné ce repli loin de la violence du monde. Par une sobre mise en scène qui épouse le quotidien et le rythme des un.es et des autres, le duo de réalisateurs traduit un régime de l’attention dans lequel se logent la délicatesse et la douceur du film comme la possibilité du soin. Ils posent au premier plan l’impossibilité d’une ligne de partage nette entre qui jouerait ou ne jouerait pas un rôle, questionnant notre inclination immédiate à la distribution des places et des statuts. Parfois le monde extérieur se signale. Monde qu’il faut bien rejoindre, qu’il faut bien revivre. Et c’est au chaos de la ville vrombissante que nous laissons le personnage de Clémence, emportée par un superbe travelling final, sur la corniche Kennedy à Marseille, au seuil du recommencement. « Le plus important n’est jamais mis en mots ». Peut-être est-ce le grand défi relevé par les deux réalisateurs que de l’avoir mis en images.
Claire Lasolle