«Avec un budget dérisoire et des moyens techniques réduits à l’essentiel (juste la location d’une caméra), ce jeune cinéaste a tourné son premier long métrage en un peu plus de deux semaines. Contactos (Contacts) illustre bien cette part marginale et astucieuse qui se démarquait de la production typique, films ayant la dictature franquiste pour sujet. Contactos a été réalisé en hâte, sans autorisation officielle et dans le plus grand secret. Tourné en 16mm noir et blanc, la bande son faite en post-production dans un petit studio d’enregistrement de Madrid, il n’a bénéficié d’aucune distribution commerciale.
Néanmoins, si Contactos représente une synthèse des conditions de production du cinéma indépendant et politique de l’époque, il se détache de ce genre de cinéma par sa modernité. Au lieu de se référer à des codes narratifs conventionnels pour décrire le climat d’oppression imposé par la dictature, le film recourt aux propositions esthétiques les plus radicales du moment. Ainsi, le titre est-il emprunté à un morceau de musique électronique du célèbre compositeur Karlheinz Stockhausen. En effet, le film se déploie selon une logique quasi mathématique de symétrie et de rythmes. La systématicité des positions de caméra (Contactos a été tourné dans seulement quatre décors différents, tous naturels) – en général des plans frontaux éludant toute notion de perspective, ainsi que la quasi absence de mouvements de caméra (limitées à quelques panoramiques latéraux), confèrent au film une sobriété formelle proche du concept de sériélisation que Stockhausen et d’autres éminents musiciens d’avant-garde des années 1970 venaient d’élaborer.
Mais la référence à Stockhausen n’est pas seule à se glisser dans ce cinéma. Les scènes dans l’hôtel filmées depuis l’extérieur sont la traduction exacte des fameuses boîtes vides de l’artiste basque Jorge Oteiza. Deux autres références décisives, enfin. D’un côté, le cinéma de Straub et Huillet, et plus précisément la vision matérialiste de la vie et des oeuvres de Jean Sébastien Bach dans leur film de 1968. Comme le dit Viota, « Contactos, c’est la chronique d’Anna-Magdalena Bach sans Bach, dans laquelle le génie musical est remplacé par l’atmosphère oppressive du régime franquiste ». De l’autre, il y a la lumière du réalisateur japonais Yasujiro Ozu, que Paulino Viota a rencontré lors de son passage à la télévision, juste avant le tournage de Contactos. L’architecture temporelle du film est également à souligner. La destruction systématique de sa structure chronologique contraste avec le respect temporel scrupuleux dans les scènes d’intérieurs.
Dans une séquence souvent relevée par la critique, Javier tourne au coin de la rue et sort du champ. À l’occasion de deux plans d’ensemble, la caméra attend patiemment que le personnage ait terminé sa promenade, trois minutes plus tard. Il y a une contradiction évidente entre le temps abstrait du montage et le temps concret du plan. D’une part, la décentralisation radicale de l’espace et du temps des séquences donne naissance à une expérience dominée par la fragmentation – semblable en cela à l’évolution quotidienne d’un sujet clandestin, toujours sous la menace. D’autre part, le caractère strictement documenté de chaque scène vise le coeur du temps même. Ce temps est celui « qui nous avait été volé pendant (par) la dictature », comme l’a fait remarquer le scénariste de Contactos, Santos Zunzunegui.
Javier Moral
(traduction de l’anglais : Céline Guénot)