C’est le soir, un néon éclaire un terrain de jeu désert. À l’écart, sur un écran de fortune de plein air, se distingue l’image d’un village battu à rythme régulier par un éclair. La nuit enfin tombée apparaissent quelques silhouettes de jeunes garçons. À tour de rôle, ils poussent du pied un ballon enflammé qui dessine des traits incandescents dans l’herbe. Toutes les lumières, le néon, l’éclair, le feu se font écho au milieu d’une fumée qui s’élève du sol. Le jeu se précipite jusqu’à ce que le ballon touche l’écran et le consume, provoquant un nouveau spectacle que la petite bande va contempler, dénudant le faisceau du projecteur, rayon sans image. En extrêmement ramassé, ce film entend évoquer un événement historique précis : la guerre et la destruction d’un village, Nabua. Version courte et thaïlandaise, si l’on veut, d’une apocalypse de jadis. Que les soldats soient ici représentés par de jeunes insouciants, et que la mémoire d’un village se conjugue avec celle de la projection cinématographique, dit assez le refus de simplification qui anime, comme dans chacun de ses films, Apichatpong Weerasethakul. Car ce sont moins les événements décrits ou les personnages stylisés qui sont fantomatiques, ainsi que le titre l’indique, que l’horreur elle-même. On comprendra aisément que trouver aujourd’hui une forme filmique à ce massacre, éclairer la nuit, c’est surmonter ce qui, en tant qu’image possible, avait été alors détruit. Il n’est sans doute pas inutile de préciser que ce film faisait partie initialement d’un ensemble de projections appelé Primitive project.
Jean-Pierre Rehm