« Il y avait un Rom pauvre, avec un lopin de terre… », entend-on pour commencer. Une fable donc, où il est question de récolte perdue. Puis une autre, fameuse : «Le Petit Chaperon rouge etc.». Si le conte éponyme sert de trame évidente, il n’est pas certain que l’univoque règne ici aussi sereinement, car voilà tout ce petit monde travesti de costumes qui placent la fable sur un fonds aux références historiques manifestes mais chiffrées. S’y côtoient sans complexe un nazi, un vieillard musicien édenté en gitan « éternel », une Nina échappée de La Mouette de Tchékhov pour atterrir sur une autoroute à dérouler son monologue faisant, petit chaperon modernisé, du stop en minijupe, et d’autres encore hauts en couleurs. Mais à ces personnages bariolés correspond également une écriture impure, où le mélange carnavalesque fait loi : scènes grotesques de cabaret, théâtre d’ombres, fausses interviews, jeu vidéo, sans oublier l’usage des langues, de l’anglais à l’allemand, du romani au serbe, qui se superposent et se recouvrent dans une polyphonie plutôt agitée.
C’est donc sous les auspices de la distance baroque que le Serbe Zoran Tairovic a choisi de placer Crvenkapa. Dans sa version du conte, on aura saisi (au moins cela), il s’agit de traduire une histoire nationale aux nombreuses ramifications, et parmi elles, celle des roms. Que la clarté classique se retrouve chahutée par une telle ambition ne saurait nous étonner. Nécessité d’interpréter ce chaos foisonnant, ou de s’en réjouir ainsi, voilà ce que suggère Zoran Tairovic, qui fait le pari de donner corps d’Arlequin à un peuple et à son histoire, hors de tout pittoresque convenu.
Jean-Pierre Rehm