Dans la célèbre épopée indienne du Mahabharata, un épisode raconte comment le chasseur et chef de clan Ekalavya se voit contraint de perdre un pouce pour que la suprématie au tir à l’arc du prince Arjuna rayonne sans conteste. Le film reprend cette histoire tout en la réinterprétant : elle indique à présent que le sacrifice du chasseur était en fait délibéré, geste conscient de désarmement en faveur d’un meilleur équilibre des pouvoirs, pour inviter le prince à mesurer la futilité de la guerre et lui préférer la paix et la sérénité. Ce que la conclusion heureuse de la fable confirme.
Si ce récit comprend des rebondissements sinueux et des intentions aussi louables que complexes, surtout à les placer (et comment ne pas ?) sur fond d’une réalité politique dans l’Inde contemporaine, la réalisatrice Soudhamini a pourtant choisi de n’user d’aucun dialogue. S’appuyant sur diverses techniques théâtrales traditionnelles, et ne sollicitant qu’un seul acteur principal, ce sont les ressources infinies de l’expressivité du cinéma muet qui sont retrouvées ici et explorées. Mimiques faciales plus variées que celles de Lon Chaney, exactitude des gestes, multiplicité des poses, c’est l’ensemble des péripéties du conte qui se déroule à même un seul espace mobile : le corps de l’acteur.
Jean-Pierre Rehm