Le carton introducteur de votre film spécifie qu’il trouve son origine dans un projet de Carole Roussopoulos, fameuse cinéaste, sur son amie Delphine Seyrig, immense actrice. Quelle a été l’histoire de cette genèse ?
Le point de départ de Delphine et Carole, insoumuses est une maquette que ma grand-mère Carole Roussopoulos avait initiée environ un an avant son décès en 2009. Elle y dévoilait l’engagement féministe de Delphine Seyrig. Dans cette maquette, constituée uniquement d’images d’archives, Delphine se racontait à travers des interviews et des extraits de ses films. C’est avec Alexandra et Géronimo Roussopoulos, les enfants de Carole, que nous est venue l’envie de réaliser un film à partir de ce projet inabouti. Il nous a semblé évident d’y intégrer la parole de Carole, pour célébrer l’intensité politique et humaine de leur relation, et partager leur vision de l’engagement féministe à travers la vidéo et et cinéma. Je suis restée fidèle à la démarche féministe de Carole : donner la parole aux personnes directement concernées. Delphine et Carole se racontent elles-mêmes à travers des extraits de bandes vidéo, de films de Delphine, d’interviews des deux femmes. J’ai conservé certaines archives qui étaient présentes dans la maquette de Carole, telle la saisissante intervention TV de Delphine sur l’avortement, dans laquelle elle déclare « qu’il est plus traumatisant d’élever des enfants que d’avorter ».
D’un portrait de Delphine Seyrig, on passe à un film sur Delphine et C arole, et leur relation de travail au sein du mouvement féministe.
C’était justement leur relation de travail qui m’intéressait : une énergie créatrice et contagieuse qui réside dans le collectif. À travers ce film, j’avais envie de célébrer la rencontre, la sororité, comme moyens de bousculer l’ordre des choses. J’aime la radicalité joyeuse que Delphine et Carole incarnent. Leur féminisme s’inscrit dans les plaisirs de la vie, la communication, l’humour — tout le contraire de l’image de la féministe rabat-joie, donneuse de leçon qui reste malheureusement dominante dans notre imaginaire social.
Le film représente un travail très riche de mise à jour d’images d’archives.
Le film est entièrement réalisé à partir d’images d’archives. étant donnée la nature des images, l’écriture du film s’est faite en grande partie au montage. Le travail a été long et sinueux, j’ai eu la chance d’être accompagnée par Josiane Zardoya, qui est une merveilleuse monteuse. Carole a progressivement pris une place de plus en plus importante. J’ai décidé de me concentrer sur les années 1970, l’époque où Delphine et Carole se sont rencontrées et ont mené ensemble de nombreux projets.
Vous utilisez quelques images seulement de films autre que ceux de Carole Roussopoulos dans lesquels Delphine Seyrig a joué.
Les extraits de films interprétés par Delphine ont été choisis parce qu’ils répondaient aux autres images. Par exemple, une Delphine Vamp tricotant dans Les Lèvres Rouges de Harry Kumel répond à une militante lesbienne du FHAR qui déclame que « la seule position politique possible est une position révolutionnaire ». Des images cinéma de la muse sont confrontées à l’image vidéo des « insoumuses » (le collectif vidéo fondé par Delphine, Carole, et Ioana Wieder). C’est en réaction à une certaine image stéréotypée des femmes au cinéma, que Delphine s’est mise à la vidéo — la vidéo était un nouveau médium, « sur lequel les hommes n’avaient pas encore leurs pattes et leur pouvoir », comme l’explique Carole. La vidéo a été un outil d’action politique, un espace d’expression et d’écoute, permettant aux femmes de raconter leur propre histoire. Des réalisatrices comme Marguerite Duras ou Chantal Akerman se sont également ré-appropriées la représentation des femmes au cinéma, jusqu’alors dominée par un regard masculin oscillant entre idéalisation et sexualisation. Les visions et voix de femmes à travers la vidéo et le cinéma sont centrales dans le film.
Propos recueillis par Nathan Letoré