Invité à enseigner pendant deux années à la State University of New York à Binghamton (SUNY) en 1971, Nicholas Ray change la donne. Plutôt que de faire traditionnellement cours, il propose à ses étudiants, novices complets en la matière, de se jeter dans la réalisation d’un film. L’expérience est souhaitée collective : tous devront partager tous les postes, y compris ceux d’acteurs. Dans cette entreprise pédagogique liée à l’atmosphère de l’époque, ils s’installent dans une maison en dehors du campus et s’attellent à la tâche. Nicholas Ray y intervient dans son propre rôle, celui du maître, sinon du père. L’élaboration s’avère fastidieuse et si longue, que le film n’était toujours pas considéré comme achevé par Ray à la veille de sa mort en 1979. Mais ce caractère d’inachèvement, de work in progress chronique, jaloux de préserver sa nature ouverte, s’inscrit en réalité au coeur même du film. Dans l’emploi multiplié des formats : du super 8, du 16 et du 35 mm, sans oublier une vidéo dernier cri découverte chez l’artiste vidéo fluxus Nam June Paik. En intégrant des séquences en surimpression, et en split screen, dans l’usage du son, le film n’hésite pas à se rapprocher du cinéma expérimental. On l’aura compris, We can’t… se présente à la fois oeuvre somme, autoportrait crépusculaire et testamentaire, – et comme une expérience inaboutie, d’allure très décousue. Lier l’aventure d’une époque du cinéma finissante à celle de sa transmission (et, partant, de toute transmission), voilà le défi inscrit ici par Ray comme sa malédiction assumée. Si le retour à la maison cinéma s’avère, en effet, très compromis, l’errance à s’y risquer ainsi est bouleversante. (JPR)
Fiche technique
ÉCRAN PARALLÈLE / PORTRAIT(S)
Etats-Unis, 1976, Vidéo, 8mm, 16mm, 35 mm, 90’
Production : Nicholas Ray. Distribution : The Nicholas Ray Foundation.
Avec Richie Bock, Tom Farrell, Danny Fisher Jill Gannon, Jane Heymann