DEATH ROW. PORTRAIT : HANK SKINNER / JAMES BARNES

DEATH ROW. PORTRAIT : HANK SKINNER

DEATH ROW. PORTRAIT : JAMES BARNES

 

Werner HERZOG

PREMIÈRES FRANÇAISES

Deux portraits de condamnés à mort dans le couloir du même nom. James Barnes, tueur de femmes au terrible sang froid, terriblement digne et précis. Hank Skinner, hâbleur scorsesien accusé d’avoir tué sa petite amie et ses deux fils handicapés, clamant son innocence et narrant avec une gourmandise macabre un dernier repas qui ne fut pas tel puisqu’il obtint in extremis un report.
Tous deux d’une intelligence remarquable, décrivant leur cas avec patience sans jamais l’offrir à l’apitoiement ou à la rédemption. Cela n’est pas l’affaire de Herzog, et c’est bien le moins. Si il s’agit de rouvrir l’enquête, c’est moins toutefois, pour se demander si des preuves ont été laissées de côté, des indices ignorés, que pour reposer l’éternelle question herzogienne: comment se fait-il que nous ne soyons pas morts?
Aux détenus, le cinéaste demande de raconter leur histoire, leur passé, mais aussi et surtout leurs pensées et leurs rêves, leurs rêves du dehors et de l’au-delà – c’est à cette occasion que James Barner évoque l’image formée en dormant d’un corps dans l’herbe sur la tête duquel s’acharnerait quelque tondeuse ? Chacun de ces portraits s’achève par le même carton disant qu’aux premiers jours de l’année 2012 la date de l’exécution n’a pas été fixée. Herzog lui-même a échappé à mille noyades, embuscades, avalanches ou tempêtes – on lui a même tiré dessus pendant un entretien, à Los Angeles. Il a tourné sous toutes les latitudes et toutes les températures, il continue encore, à un rythme soutenu et à bientôt 70 ans (ce sera le 5 septembre). Il connaît un éblouissant regain de gloire après au moins deux décennies d’oubli. Qui d’autre serait dès lors mieux placé que lui pour savoir que cela veut dire : être revenu de la mort et n’en pas revenir?
Le cinéaste n’a donc pas vraiment besoin de se refuser à juger ces détenus. Il a à peine besoin de préciser en préambule à chacun de ces portraits qu’il n’est pas favorable à la peine de mort mais qu’en tant qu’ « invité aux États- Unis » il ne peut faire qu’exprimer un «désaccord respectueux». À peine, car il sait que la mort est toujours là, il sait que l’étonnant n’est pas qu’elle consente à nous entendre, mais bien plus qu’il nous ait été accordé cet étrange sursis qui s’appelle la vie et que lui-même, avec d’autres, appellerait aussi bien le cinéma, art de fantômes, non : de survivant.Werner Herzog : « Je n’ai pas besoin, dans mon film, d’humaniser les condamnés à mort que j’interroge : ce sont des êtres humains. Et s’ils expriment avec précision et intelligence, c’est que j’ai su les approcher d’une manière particulière. Je n’ai fait preuve avec eux d’aucune psychologie. Tous ceux avec qui ils ont l’habitude de parler, leurs proches, leurs avocats, font du sentiment,, n’ont avec eux qu’un rapport psychologique et affectif. Ce n’est pas mon cas, je déteste la psychologie, je déteste la psychanalyse. Je les considère comme deux erreurs majeures du XXe siècle. Ma conviction est telle qu’à la limite je me demande si ce n ‘est pas tout le XXe siècle qui a été une erreur.
J’ai fait un tri. J’ai étudié de très nombreux dossiers et en ai écarté beaucoup. Un jour, l’avocat d’un de ceux que j’avais sélectionnés m’a prévenu que son client avait tendance à dire de grosses bêtises : je l’ai donc écarté pour ne pas risquer de lui nuire. Il n’était pas question que j’immisce dans une affaire en cours. Quand à ceux que vous voyez, je leur ai parlé franchement. Je leur ai dit tout de suite que, bien que je sache que la plupart des gens qui se rendent coupables de meurtre ont eu une enfance difficile, je ne me sentais pas obligé de les aimer. [La phrase ouvre quasiment le film : « i don’t have to like you ».]
Je n’avais pas une liste de questions avec moi, ce n’est pas comme ça que ça marche. Aucune école de cinéma ne vous apprendra comment conduire un entretien avec un condamné à mort. Pour réussir vous devez connaître le coeur des hommes [«You have to know the heart of men »]. Vous devez éviter le pipeau [« bullshit »], ces gens-là le respirent de très loin. Quand vous interviewez un condamné du couloir de la mort, on ne vous accorde que cinquante minutes, il faut donc être particulièrement bon. C’est comme une performance, vous n’avez pas droit à l’erreur.
J’ai interviewé l’aumônier du centre d’exécution. Il commence par me dire qu’il n’a que vingt minutes, qu’il doit bientôt aller assister un condamné. Je me dépêche de placer la caméra, de le faire s’asseoir… Et il commence à me raconter des conneries, à parler comme le pire des télé-évangélistes. Il me parle de la grâce de Dieu, de sa bonté, de ces matins où, sur le terrain de golf, il éteint son portable pour admirer la nature, les arbres, les daims, les écureuils qui le regardent… Bullshit. Je prends alors ma voix la plus chaleureuse et, joignant les mains, je lui pose la question suivante de l’arrière de la caméra : « Oui, s’il vous plaît, racontez-moi votre rencontre avec un écureuil ! » Je l’ai vu alors s’effondrer et presque fondre en larmes. Deux minutes plus tard, il me parlait avec une sincérité qu’il n’avait probablement eue avec personne avant moi. »

« Pourquoi un documentaire plutôt qu’une fiction?»
«C’est en tournant Into the Abyss (2011), autre documentaire sur la peine de mort, que m’est venue l’idée de faire le portrait de plusieurs condamnés. J’aurais pu en effet choisir la fiction. L’histoire de James Barner donnerait lieu au plus atroce des films d’horreur [« the ultimate horror movie »] : imaginez un homme s’introduisant nu dans l’appartement d’une femme, se cachant dans un placard, l’observant pendant des heures pendant qu’elle vaque à ses tâches quotidiennes, puis la tuant de sang froid, avant de la jeter sur son lit et de brûler le tout pour faire disparaître les traces. »
«Avez-vous besoin pour renouveler votre inspiration de faire une pause entre deux films?»
«Je ne fais pas de pause. Il y a trop de choses qui m’assaillent et dont je dois m’occuper. Depuis l’achèvement de Death Row, j’ai déjà tourné six autres films. Je dirige une école de cinéma à Los Angeles, the «Werner Herzog’s Rogue Film School », je prépare une installation au Whitney Museum… je suis un travailleur efficace. J’écris vite. Je tourne vite. Je monte vite. Death Row ne fut pourtant pas un projet facile. Le montage, particulièrement a été rude. Mon monteur et moi sommes de bons gaillards, nous avons l’habitude de travailler sans discontinuer de 10 heures du matin à 6 heures du soir. Mais regarder ces images était si éprouvant que nous devions parfois nous accorder une pause et que lui et moi nous sommes remis à fumer. »

Emmanuel Burdeau – Médiapart.fr, article publié
le 19 février 2012

 

Fiche technique

ÉCRAN PARALLÈLE  / LES FILS DU POUVOIR

Etats-Unis, 2012, Couleur, 2 x 52’

Version originale : anglais. Image : Peter Zeitlinger. Montage : Joe Bini. Musique : Mark Degli Antoni.
Production : Creative Differences, Skellig Rock.