Baboussia, c’est le surnom d’une grand-mère, a bien vécu. Elle veut partir maintenant, elle le dit sans appréhension à son entourage, elle est prête, il lui faut s’en aller. Cette mort annoncée, c’est à quoi va s’affronter la famille, mais aussi sa petite-fille, Elsa Quinette, réalisatrice, et la nécessité de son film. Celui-ci va emprunter deux voies, et alterner leurs avancées. Autrement dit, donner au deuil anticipé réponse articulée, ouverte : réponse de montage. D’une part, accompagner avec affection cette vieille dame entourée de ses proches, enregistrer l’amour partagé à haute voix jusqu’aux lisières de la vie, suivre par exemple le fils aîné exorciser peur et affliction en un étrange moment théâtral, tout d’humour noir cathartique. D’autre part, s’autoriser d’un large détour, suivre son frère photographe collecter des images de visages ailleurs, vers une autre emphase du trépas, vers d’autres rites, aux Ghâts de Bénarès en Inde, dans ces lieux où la mort s’affiche crûment au milieu du quotidien. Tout au long de cette double traversée vers l’inconnu, aucun savoir ne s’acquiert, aucun secret n’est révélé, ni la douleur surmontée. Ce qui se découvre plutôt, sourdement, lentement, sans assurance même, c’est que la logique du montage qui séparait l’ici et le là-bas, la France et l’Inde, l’avant du trépas et son après, il revient de l’appliquer, cette loi de la division, à l’intérieur de chaque événement, lieu ou temps. Ni une sagesse, ni une pratique, une suite d’éblouissements.
Jean-Pierre Rehm
Entretien avec Elsa Quinette au sujet de LA VIE EST AILLEURS paru dans le quotidien du FIDMarseille du 10 juillet 2011