Un homme, la quarantaine, se rend vers l’aéroport de Beyrouth. Censé laisser le pays pour un mois, au lieu de s’envoler, il loue une voiture, quitte la ville pour s’engager au Nord sur une route montagneuse. Sa destination ? Sans mystère : une chambre au dernier étage d’un hôtel. Et pleine d’énigmes, puisqu’il va choisir de s’y enfermer, s’épargnant le moindre contact, reclus délibéré. Si le cinéma de Ghassan Salhab nous a déjà accoutumés à ces figures de loups solitaires (Terra Incognita ou Beyrouth Fantôme) aux tonalités autobiographiques diversement affichées (1958), c’était néanmoins toujours à les confronter à leur ville, à sa foule, à l’Histoire du Liban, explicite ou clairement allégorisée. Ici, un tournant est pris. Prendre de la hauteur, celle de la montagne, celle du point de vue de cette chambre au sommet aux volets pourtant clos, mais pour mieux replonger au départ, tout au fond, dessous la neige, sa blancheur et ses maigres traces, pour traquer, obscure, une autre origine. Décrire la gymnastique paradoxale, immobile, mutique, de ce que Deleuze appelait « l’acte de création », voilà le défi que s’est lancé cette fois ce grand cinéaste. En un noir et blanc où le gris somptueux dit assez la nécessité d’infinies nuances, servi par un acteur à la fois massif et magnifiquement secret, ce film qui salue au passage Johnny Cash comme Louis-René des Forêts, raconte de manière inédite une ancienne et grave question : comment faire oeuvre en temps de guerre.
Jean-Pierre Rehm