« Documentaire ! », s’exclame quelqu’un en riant, et l’on ne sait s’il se réjouit de l’entreprise, ou s’il juge comique son impossible ambition à saisir, à décrire, à ramasser une existence en une heure. Les deux peut-être, comme cette balançoire sur laquelle est perchée une fillette, puis son père, et qui, à la tombée d’une nuit où aucun oiseau de Minerve ne prend son envol, ouvre le film de son aller-retour au flou. Va-et-vient entre politique et cinéma, entre trotskysme et surréalisme, entre lutte armée et scénarii, entre la Palestine, le Liban et le Japon, entre avant-hier et aujourd’hui, entre beauté et résolution, entre l’art de manger et celui d’être père, c’est la vie hasardeuse et décidée de Masao Adachi, le monsieur aux cheveux blancs aperçu à se bercer. Et c’est bien ainsi que Philippe Grandrieux, fidèle à sa manière, a choisi d’en suggérer le portrait, sans faire le point, sans arrêter la parole, le filmant et écoutant ses propos sans les comprendre d’abord, le cadrant en gros plan serré, sous-exposé, surexposé, pour mieux l’abandonner ensuite à la faveur des cerisiers en fleurs, des rues de Tokyo grouillantes de voitures et de passants, des objets familiers, d’un plafonnier lactescent. Et laisser parler ici et là quelques plans de ses films d’antan, d’où surgit soudain la phrase, presque du Genet, qui se donne en titre : programme paradoxal qui hésite à relier une rive à l’autre.
Jean-Pierre Rehm
Entretien avec Philippe Grandrieux à propos de IL SE PEUT QUE LA BEAUTÉ AIT RENFORCÉ NOTRE RÉSOLUTION – MASAO ADACHI paru dans le quotidien du FIDMarseille.