Où? Les rues de Goiana, au Brésil. Qui ? Une grappe de ces fameux gamins sans abri qui hantent, si nombreux, les cités brésiliennes. Comment? “Filme-moi, c’est tout”, “Filme ici !”, et la caméra de passer de main en main, et les filmés de devenir à leur tour cadreurs, preneurs son, interviewers. Et le tout de fabriquer des plans qui ne cessent de surgir imprévisibles, de se bousculer, de danser ou de tournoyer comme sur ce tourniquet qui donne le vertige aux barres d’immeuble en arrièreplan. Quand ? Tourné initialement sur deux années il y a près de vingt ans, Claudia Nunes a repris ce matériau dont elle avait d’abord fait un court, Numéro Zéro, puis, après avoir retrouvé et filmé certains protagonistes, elle a remonté l’ensemble. Sans souci de chronologie, mais reflétant ce présent permanent dans lequel tous ces visages et leurs paroles semblent habiter, de cette mosaïque éclatée émerge un portrait collectif, une trajectoire épique où chacun, héros, a sa part. Reste de cette expérience de cinéma direct les témoignages d’enfances mutilées. Exemples parmi d’autres, telle expulsion musclée, telle séance de sniff de colle, ou les obsèques de l’un d’entre eux. Archive d’une jeunesse filmée sans dramatisation, sans pittoresque ni misérabilisme, dans un film au noir et blanc qui s’offre comme un hommage à la vitalité et à l’énergie.
Jean-Pierre Rehm