Usines, ouvriers, mots caducs ? réalités obsolètes ? Les aubes sinistres qui ouvrent le film de Manuela Frésil, et annonçent un jour encore, à refaire à l’exact les mêmes pauvres gestes, prouvent sans pitié le contraire aux oublieux de l’abattage des êtres. Triste chorégraphie des abattoirs industriels : trancher, vider, charger, etc., gymnastique austère où se perd qui, un doigt, qui, un muscle, tous leur corps, et leurs nuits de répit impossible, hantées de cauchemars. En écho, défilé ordonné et hâtif de dépouilles imposantes, de carcasses éventrées méthodiquement, de volailles étiquettées, de viandes roses sciées au millimètre. En off se succèdent des récits égrénés, vite, à plusieurs voix : valse du personnel, productivité, meurtrissures, douleurs, fatalité acceptée de la rareté des années à survivre à la « retraite ». Dans l’usine, la caméra glisse, épouse les mouvements et leurs chaînes. Dans l’usine, la caméra se fait machine, huilée, efficace, terriblement. Hors l’usine ? La voilà, presque, la caméra, qui se fige. Quel dehors ? Alors, ça recommence, on explique, on refait, on mime à vide les tâches, sur la plage, dans un bureau, sur un terreplein. Du dehors? Aucun vraiment, sinon le timbre des voix, leurs accents, leur débit qui tente de prendre de vitesse la vitesse de l’exploitation. Quelque chose pourtant se dessine sourdement, et ce n’est pas seulement la mer de la conclusion où se pêchent des huîtres bien closes.
Nicolas Feodoroff & Jean-Pierre Rehm
Entretien avec Manuela Fresil au sujet de ENTRÉE DU PERSONNEL paru dans le quotidien du FIDMarseille du 10 juillet 2011