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MEIN SATZ

MY SENTENCE

Amina Handke

Une vieille femme cherche ses mots, répète en boucle les mêmes phrases : elle a perdu l’usage du langage. Amina Handke adapte pour le cinéma Kaspar, pièce de 1967 de son père Peter, sur le cas célèbre de Kaspar Hauser, enfant sauvage ayant dû faire l’apprentissage de la langue. Mais l’enfant est ici remplacé par la mère de la cinéaste : bascule d’âge et de genre, en même temps que bascule de la parole incarnée sur scène à une parole enregistrée et mise en plans. Amina Handke multiplie les situations : balade en forêt avec un âne rappelant Balthazar, captation de la pièce rejouée sur scène… Avec toujours en ligne de mire une question fondamentale : quels liens entre langage et société, langage et identité ?

Nathan Letoré

Soutenu par le Forum Culturel Autrichien

Votre film est une adaptation, ou peut-être même une transposition, de la pièce de votre père sur le langage, Kaspar. Comment ce projet a-t-il vu le jour

Dans les années 90, je concevais un décor pour la pièce, qui date de 1967, et lors des répétitions, je me suis dit que ma mère serait parfaite dans le premier rôle. Plus tard, conjuguer mon travail artistique et celui de mes parents me sembla judicieux. Depuis de nombreuses années, je développe les sujets de l’autorialité (partagée) et du mythe de l’artiste : cette construction du génie solitaire qui créerait des œuvres d’art (presque) sans influences ni soutien. Je crois que chez les enfants d’artistes comme moi, l’adoption d’un pseudonyme constitue la principale forme d’émancipation, mais qu’on attend également de nous qu’on ait la fibre artistique. Je veux briser le mythe de l’individu•e en tant qu’origine de la créativité. L’art et la créativité (et tout le reste) émanent essentiellement de l’inspiration et de l’influence d’autrui, du monde qui nous entoure, qu’il soit bon ou mauvais. Je n’ai réalisé que plus tard le lien avec le personnage principal de Kaspar Hauser, un «enfant sauvage» légendaire apparemment venu de nulle part, sans famille. 

Vous avez finalement décidé d’accorder le premier rôle à une femme plus âgée, jouée par votre mère, plutôt qu’à un jeune homme. Pourquoi cette modification? Comment avez-vous travaillé avec votre actrice

Comme je l’ai déjà évoqué, j’avais imaginé ma mère dans le premier rôle et je désirais un scénario écrit pour elle, en guise d’archétype humain. Par le passé, cet archétype était un homme, alors pourquoi ne pas changer la donne pour en faire une femme plus mûre? On les condamne toujours à l’invisibilité. Puisque je connaissais le professionnalisme de ma mère, je voulais lui offrir les meilleures conditions de travail envisageables : un minimum de pression pour un maximum de liberté. Bien sûr, ce n’est pas mince affaire avec un petit budget, mais c’est aussi un atout majeur quand l’on dispose d’une excellente équipe réduite. 

Sans dévoiler trop de détails, vous décidez brusquement de placer le générique de début au milieu du film, ce qui ouvre subtilement de nouveaux possibles. Pourquoi cette structure? Quel rôle le montage a-t-il joué dans la construction du film, en matière d’images et de texte

Les idées ont foisonné en termes de montage, peut-être parfois un peu trop. Je voulais que les titres semblent aléatoires, qu’ils arrivent par surprise, comme lorsque la perception du temps devient confuse chez les gens (plus âgés). C’est aussi le fruit du hasard si cela se produit au milieu du film, car c’est l’un des nombreux moments où le personnage principal pourrait mourir. Cela reflète l’ossature de la pièce : vous pensez qu’elle s’achève à trois reprises au moins, puis elle redémarre ailleurs. 

On voit votre personnage faire part de ses réflexions sur le langage aussi bien sur scène que dans un cadre privé ou clinique, ou encore en pleine nature à un âne… Comment expliquez-vous cette multiplication de décors et de contextes? Quel rôle ont joué les décors dans la façon dont vous avez conçu et planifié le tournage

À mon sens, «traduire» les idées de la pièce au cinéma était essentiel, et notamment remettre en question et nier l’illusion d’un décor et d’une narration naturalistes. La pièce utilise de nombreuses citations et références et ne suit aucun récit évident. J’ai donc décidé de conserver la chronologie d’origine de la pièce, même si j’ai raccourci le texte à l’extrême. D’autre part, je l’ai combinée avec mon odyssée imaginaire personnelle, à travers une imagerie de citations (par exemple, l’âne comme l’une des créatures les plus symboliques du langage non humain dans un film sur le langage : «non seulement Balthasar, mais tou•tes cell•eux qui le ou la précèdent»; ou le costume en référence à King Kong, King Lear ou Marlene Dietrich). Tous les décors et personnages peuvent être interprétés de plusieurs façons : souvenirs, rêves, ou tout ce que vous voulez. Je souhaitais que les spectateur•ices aient la place nécessaire pour suivre leurs propres pensées et réminiscences. Cela explique également que le film semble parfois si long, et bien sûr parce que la pièce joue aussi avec ces ambiguités.

Entretien réalisé par Nathan Letoré

Traduit de l’anglais par Ewen Lebel-Canto

 

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Fiche technique

Autriche / 2022 / 85’

Musique : Sabine Marte, Oliver Stotz
Avec : Libgart Schwarz, Helga Illich, Caroline Peters

Production : Amina Handke (FAD)