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AS FILHAS DO FOGO

THE DAUGHTERS OF FIRE

Pedro Costa

« Les Filles du feu » : c’est le surnom nervalien que Pedro Costa donnait déjà, au temps de Casa de Lava (1994), aux femmes capverdiennes dont les visages irradiaient l’ouverture du film et dont la rencontre avait mis son cinéma sur le chemin de sa vérité : accompagner le destin d’un peuple, dire la vérité de son malheur et de sa grandeur, de sa trahison par le Portugal et son histoire. Les stations de ce cinéma, de Dans la chambre de Vanda (2000) à Vitalina Varela (2019), ont été celles d’une constante élévation spirituelle, le récit implacable des souffrances et de leurs raisons matérielles et politiques allant de pair avec l’approche et le dévoilement d’un mystère au-delà de l’histoire. Ce mystère est le sujet des Filles du feu, toute histoire abolie. Le titre même dit un retour à l’origine : filles du grand Fogo, volcan du Cap-Vert, dont les images d’une éruption précédaient les visages des filles au début de Casa de Lava. Retour de l’origine, plutôt, au terme provisoire du chemin, à sa dernière station : car les filles du feu sont aussi celles de Vitalina Varela, ses filles spirituelles, qui accomplissent son mouvement de retour vers la terre natale et le mystère de la souffrance. Elles sont trois, pour autant de panneaux d’un triptyque qui accomplit, lui, la remontée du cinéma de Pedro Costa vers un art très ancien, celui des églises et des retables. Trois panneaux : au centre une femme couchée sur la pierre du volcan, à gauche un visage en marche le long d’un mur de lave, à droite un autre immobile contre un poteau – deux figures récurrentes de la mise en scène de Costa. La durée du film est celle de la Passacaille de Biagio Marini(op. 22, 1655)), sublime partition pour deux violons, violoncelle et continuo. De cette partition instrumentale, Pedro Costa et l’ensemble de musique ancienne Os Musicos do Tejo ont fait un oratorio pour trois voix en y associant un texte tout aussi sublime, quintessence en quelques phrases de trente ans de cinéma. Solitude, travail, fatigue, souffrance. Mais surtout : « Viendra le temps où nous saurons pourquoi nous souffrons et le mystère prendra fin. » Musique, peinture ou cinéma : le temps de l’art est celui de ce mystère, qui est celui de la vie : pourquoi souffrir ? La raison de l’art est d’éprouver ce mystère, d’éclairer son obscurité même. La fin du mystère sera celle de cette vie de souffrance. La fin du film, en une contraction vertigineuse de l’oeuvre, fusionne le début de Casa de Lava et la fin de Vitalina Varela. Prises à un film des années 50 documentant une éruption du grand Fogo, des vues du volcan sont suivies d’un plan sidérant : des hommes et des femmes, certains nus, sortent d’une maison de lave, s’avancent vers la caméra. Vision inouïe de la rencontre d’une humanité d’avant la chute avec le cinéma, dont on ne saurait dire s’il est l’instrument de la chute ou celui de la rédemption. Bouleversante révélation, en un éclair : l’image de l’innocence est aussi celle de sa fin.  Et l’origine du chant.

Cyril Neyrat.

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Fiche technique

Portugal / 2023 / 8’