Dans le sobre et puissant Road Movie (FID 2011), sous les silences et les rares bribes échappées de la bouche de pensionnaires d’une institution psychiatrique, Christophe Bisson traquait les intensités secrètes retenues derrière la souffrance. C’est encore de parole qu’il s’agit ici, de sa privation et de ses retrouvailles accidentées. Au sortir d’une amputation du larynx, un homme, Joël Perrotte, a choisi d’accompagner son mutisme en se terrant dans le sous-sol de sa maison. C’est le récit de ce retrait hors du monde, puis de sa remontée à la surface, qu’il raconte par le détail, face à l’écran, d’une voix étrangère, mécanique, qu’il lui a fallu d’abord dompter, et reconnaître comme la sienne désormais. Mais par-delà ce drame personnel, on perçoit bien ce qui retient Christophe Bisson ici : le fantastique de la machine de l’élocution. Et dans cette machine, ce qui fascine sa caméra, c’est sa capacité à s’exposer au-dehors : à relier, par exemple, les obscurités d’une cave et de sa table à outils aux mouvements d’un visage, à relier la couleur d’une peau à celle d’un ciel. S’exposer au-dehors, c’est-à-dire : la parole habite tout entière l’espace d’un film qui n’est pas le seul enregistrement d’une épreuve, mais qui s’avance en bloc, entièrement solidaire de cet être neuf, greffé d’un micro.
Jean-Pierre Rehm