On se souvient de Nawna (primé au FID 2007), tourné dans le Grand Nord canadien des Inuits. Nazim Djemaï, à l’écoute de la difficile transmission entre générations, y laissait les paroles recueillies se fondre dans une étendue neigeuse loin du simple décor. Voici à nouveau la nature, avec ses saisons clairement marquées cette fois, et à nouveau le verbe, très diversifié en réalité, matières de son dernier film. Car c’est de La Borde qu’il s’agit, clinique fameuse pour son site en pleine campagne, son château côtoyant sur 40 hectares de bois et d’étangs, un jardin potager, une serre, un poulailler. Mais plus célèbre encore Sauver pour le choix fait par son fondateur, le docteur Jean Oury, en 1953, d’y remettre radicalement en cause la pratique psychiatrique, les rapports et la hiérarchie de l’accès au savoir entre patients et soignants.
Pour décrire ce paysage rare, fait de lieux autant que d’êtres, Nazim Djemaï déroule simplement une suite de portraits, longues séquences en plans fixes, chaque protagoniste décidant de l’endroit, quelquefois insolite (tel ce jeune homme debout près d’une machine qui assourdit ses propos), où il souhaitait s’exprimer. Dans cette succession de discours, du flux de paroles jusqu’au mutisme, de pensionnaires et de membres de l’équipe de soin, la surprise, l’émotion, la gravité, le comique parfois aussi, singularisent autant chacun d’eux «devant les hautes solitude de la maladie » (N. Djemaï) que la distribution des rôles attendue en est perturbée.
Jean-Pierre Rehm
Entretien avec Nazim Djemaï au sujet de À PEINE OMBRE paru dans le quotidien
du FIDMarseille du 5 juillet 2012