En ouverture, un ballet, avec parquet de rigueur. Une salle de spectacle ? Non, l’usine Volkswagen de Dresde, summum de production high tech de voitures ajustées à la main dans un univers robotisé, silencieux, tout de glisse élégante. Suit un atelier qu’on dirait des années 50, à Chicago, où des ouvriers aveugles assemblent à tâtons à la chaîne des horloges à destination des Postes. Puis, dernier panneau du triptyque, nous voilà à Istanbul, entre les murs étroits d’une fabrique de cymbales où les futurs instruments sont modelés à coup de marteaux. Trois pays, trois manières de travailler, trois moments de l’histoire industrielle, à la chronologie ici malmenée.
Mais plus qu’un propos sociologique sur l’univers du travail et ses particularités géographiques, ressort ce qui relie entre elles ces séquences de durées identiques. Or, ce lien est tiré des formes. Le dernier plan d’une roue qui tourne jusqu’à lentement s’immobiliser, le livre : c’est le cercle. Autour de sa perfection vicieuse peuvent alors s’enrouler hypothèses et correspondances : du ballet mutique du début à la bruyante promesse d’une musique conclusive ; du temps aveuglément estampillé dans la séquence centrale à la manière dont il semble s’être évanoui au début, et se rythmer à la fin ; etc. En somme, Daniel Eisenberg et son beau film stable, en dépit du titre, se faufilent entre le bruit du temps et la ronde musicale qu’entonne tout ouvrage.
Nicolas Feodoroff & Jean-Pierre Rehm