Un homme est assis face à un écran d’ordinateur. Puis monte une voix venue des profondeurs sombres de la nuit tropicale dans laquelle l’image soudain nous plonge : “il était une fois…”. Cet homme à l’écoute, c’est Gustavo Salvatierra, qui a choisi de retourner sur sa terre, Sipo’hi, dans le Chaco, province reculée du nord de l’Argentine, chez les indiens Wichis et les Toba. Avec pour objectif de récolter ces récits mythiques transmis oralement de génération en génération. Voilà le cadre du projet posé : faire écouter, aujourd’hui, des légendes, fragiles, étranges, drolatiques aussi, et les sauver de l’effacement par l’entremise d’une émission de radio locale.
Sipo’hi poursuit ainsi l’entreprise « ethnopoétique », à la fois rigoureuse et affranchie des règles de la science, amorcée par Las pistas (lauréat de la Compétition Premier, Fid 2010). Sebastian Lingiardi réaffirme ici son attention aux lieux. La parole, les voix, les gestes prennent corps depuis et dans cette terre, ses villages, ses forêts, son fleuve, sa nature omniprésente, parcourus à pied, rythme qui impose une lenteur propice à en capter les respirations et les sons. Calme du cours d’eau, sérénité des sites hantés de belles voix tranquilles en off, qui nous récitent le renard, le tigre, les poissons et les dieux dans leur commerce avec les humains. Impérieuse nécessité de faire résonner l’imaginaire par ceux qui en sont les acteurs et les dépositaires, manière de les laisser se retrouver, non pas propriétaires, mais visages et voix de leurs paysages.
Nicolas Feodoroff