Un lopin de terre situé à Ansfelden, bourgade proche de Linz en Autriche, désormais coincé dans un paysage encore rural traversé de voies rapides, voilà le héros du film, ce champ infécond du titre, dont Bernhard Sallman va nous conter l’histoire, puisque il y a vécu gamin, et que c’était propriété familiale. En plans austères et descriptifs, Sallmann cadre le champ, le village et ses environs pourtant dépourvus de toutes particularités. Leur fixité insistante fait face à la multitude anonyme des automobiles, fantômes glissant sur ces voies rectilignes, flux scandant le film. Très patiemment, Sallmann s’ingénie à lire les lieux, s’employant à nous faire entendre, en off ou en sous-titre étonnamment mobiles sur l’écran, les récits des uns et des autres. Se déplient alors les pages d’un livre d’histoires au seuil de leur effacement. L’on y apprend que le compositeur Anton Bruckner, récupéré par les Nazis comme héros romantique, y est né, que ce champ fut le cadre d’un camp de prisonniers, et qu’il fut plus tard le théâtre de scènes sinistres.
De la déploration de la disparition d’une certaine ruralité aux accents nostalgiques qui semblait sans surprise dicter le projet, nous voilà petit à petit, mais violemment, projetés dans l’Histoire, celle d’un recouvrement de l’horreur. Transmettre donc, exhumer de ce mauvais champ sa mauvaise mémoire, et ouvrir à une Histoire affranchie de ses refoulés, rendre corps aux disparus, voilà la visée : faire du film la possibilité d’un monument discret.
Nicolas Feodoroff