Un personnage d’écrivain allemande, dont on saura très peu sinon que sa mère perd la mémoire, se rend à Hiroshima pendant la période de la commémoration du bombardement. Guidée par un jeune traducteur japonais, elle rencontre des témoins, des habitants, mais, pas davantage que chez Resnais ou chez Suwa, elle ne parvient à mesurer autre chose que la distance qui la sépare du lieu où elle se trouve et du motif qui l’y a mené. On le voit, à se confronter à telle histoire et à de semblables précédents, l’ambition de Mieko Azuma pour son premier film est grande. Mais si, à l’évidence, cette jeune cinéaste tient remarquablement son pari, c’est qu’elle a su faire s’entrecroiser de manière précise et délicate deux réalités. D’une part, par-delà toute traduction, le constat amer d’un impossible partage : champ et contre champ sont distribués ici sans réversibilité, sans continuité. Une langue ne traduit pas l’autre, encore moins ce qu’elle charrie de l’expérience de son passé et de ses douleurs. D’autre part, le film décrit très sobrement l’existence dans le Hiroshima d’aujourd’hui, qui se poursuit en menant un deuil sans ostentation, effacé, presque invisible. Ainsi abandonne-t-on parfois l’écrivain pour suivre un chauffeur de taxi et son fils, ou le trajet après le travail d’un conducteur de bus. Glissant de façon ténue et bouleversante entre registre documentaire et scènes jouées, Azuma invente une langue cinématographique à elle, pour évoquer à la fois la difficulté à transmettre et la nécessité de jouer des obstacles pour consolider la voie de la mémoire.
Jean-Pierre Rehm