Dubai s’est vite taillée une réputation d’objet théorique. C’est ainsi que Christian von Borries l’aborde, et ce qui justifie son titre. S’y désigne moins le pittoresque d’une cité marchande poussée par magie et plantée d’architectures pharaoniques, que le modèle d’une utopie libérale réalisée. Dubai est l’écran de projection où s’étalent de tristes rêves, ceux forgés par l’imaginaire du capital, ceux qui nous hantent : Dubai en moi. C’est pourquoi, aux images tournées sur place, von Borries mélange des clips de publicité immobilière locale. C’est pourquoi, à ceux-ci, il ajoute encore des séquences prélevées sur Second Life. Ici et là, semblable croissance exponentielle, même pulsion d’appropriation immobilière, même régime de fantasme. Ici et là, même rôle confié à l’image, qu’elle devienne enfin notre vaste demeure, idéale et éternelle. S’il s’agit pour von Borries d’analyser cet Éden du capitalisme, il se refuse pourtant à croire qu’il pourrait aisément traverser le miroir pour trouver enfin derrière l’image de quoi se passer d’elle. Dans ce film exemplairement libre, l’image n’est pas juste un outil, elle est le terrain même où il faut en découdre. Mais plutôt que de tenter de la rendre à une quelconque dignité, il va s’acharner à l’exploiter tout comme sont exploités pour l’édification du mirage Dubai tant de nouveaux esclaves. Jouant des typologies d’images, rusant avec l’orthodoxie documentaire, s’amusant des voix off, des textes affichés, etc., c’est à un joyeux jeu de massacre que l’on assiste.
Jean-Pierre Rehm