En 1973, à la suite du coup d’État au Chili, nombreux sont ceux qui prennent le chemin de l’exil. Les parents d’Antonia Rossi sont de ceuxlà, installés à Rome, où elle naît. Après le retour à la démocratie en 1989, la plupart y retournent avec des enfants dont certains, comme Antonia Rossi, n’ont jamais connu ce pays. Situation qui déplace la question : non pas qu’est-ce que revenir, elle n’en est jamais partie, mais de quoi se construit une identité : une langue, un lieu, une mémoire transmise? Que construit l’exil pour ceux qui viennent après ? Comment se fabrique-t-on ses propres représentations ? Puisant à son expérience personnelle, Antonia Rossi reprend alors les fils un à un dans un récit introspectif qui interroge les lieux, les images, leur charge d’Histoire. Elle brasse des archives familiales et télévisuelles, qu’elle confronte à ses propres souvenirs. Et tour inattendu mais décisif ici, d’autres images surgissent. De films d’enfance, Gulliver en tête, figure réappropriée ici comme étant celle, contradictoire, du merveilleux de l’enfance et du déracinement redoublé, en Italie puis au Chili. Construire un pays réel à partir de l’imaginé, un pays qui soit le sien propre bien que modelé par les souvenirs et les images des autres. Un exercice qui rappelle le bricolage par lequel tout un chacun est amené à se construire ses propres représentations, par défaut, pour combler les vides, les manques, la perte. Archives, dessins animés, construisent alors cet espace mental, jeu d’ombres nourri d’images.
Nicolas Féodoroff