It must be because I decided to leave se présente comme un journal vidéo à la forme libre et fragmentée, qui reflète une sorte de déracinage déjà évoqué dans le titre. Quel a été le point de départ du projet, et comment est apparue la décision d’adopter cette structure fluide ?
Je savais que je voulais faire un film sur le départ, mais pas comme décision, même si c’est ce que suggère le titre, mais comme état d’âme. J’ai recueilli les images sur deux ans, et je faisais le montage en même temps. Le film est devenu une sorte de journal, ou une constellation de pensées qui revenaient constamment – à propos de la distance, de l’absence, de l’espace qui y existe.
Le départ n’est pas un sentiment simple. C’est peut-être une tension avec laquelle je vis, entre le désir de m’en aller et le fait de n’être jamais vraiment arrivée. J’ai grandi entre les lieux, entre les langues, entre ce qui était attendu de moi et ce à quoi je ne pouvais pas me raccrocher. L’idée d’appartenance ne m’est jamais apparue comme installée, elle s’estompe, revient, change de forme. Je pense souvent à partir dès que j’arrive, avec une personne, dans une ville, même à un dîner. Donc le film a dû errer pour rester disjoint. Ne rien résoudre, mais rester avec lui, comme il est. Ça m’a paru plus honnête par rapport à mon rythme intérieur.
Le film est en constant mouvement entre rêve et réalité, mémoire et invention, création d’un univers hybride à plusieurs couches visuelles, où les différentes images et impressions s’entrecroisent. Comment avez-vous travaillé à la construction de cet imaginaire riche et contaminé ?
Je n’ai jamais ressenti le besoin de les séparer. Le rêve, la réalité, la mémoire, la fantaisie… pour moi, ces concepts sont tous aussi instables. J’ai simplement suivi ce qui me paraissait fonctionner et j’ai laissé les images se contaminer entre elles. De toutes façons, c’est probablement aussi comme ça que ma tête fonctionne.
Dans ce flux visuel et narratif, le personnage principal est représenté avec multiples visages. Comment avez-vous conçu cette figure en mouvement, et dans quel mesure reflète-t-elle vos réflexions sur l’identité et le sens de l’appartenance ?
Le fait d’utiliser plusieurs interprètes n’était pas stratégique, l’idée est venue de manière intuitive et je ne l’ai pas remise en question. Je ne me suis jamais sentie singulière.
Quant à la question de l’identité et de l’appartenance, il y a toujours eu une tension silencieuse entre la manière dont je me vois et celle dont je suis vue. Beaucoup de filles autours de moi sont influencées par une culture qui accorde plus de valeur à la clarté qu’à la contradiction. Il y a souvent une pression tacite de se traduire en quelque chose de lisible, d’appartenir aux termes des autres. Je m’y oppose. Laisser les personnages rester non déterminés a été une approche douce pour réclamer cette ambiguïté, et pour laisser de l’espace aux identités qui ne cherchent pas à être résolues.
La voix off oscille entre les détails de tous les jours et une imagerie poétique évocatrice, presque élusive. Comment le processus d’écriture s’est-il déroulé, et comment avez-vous conçu cette voix par rapport aux images ?
J’ai commencé l’écriture séparément. J’avais d’abord écrit une longue lettre à ma famille, qui est uniquement composée de mes parents et de moi-même, que j’ai nommée une lettre d’amour domestique. Elle comportait quelques souvenirs épars des années passées ensemble, simplement parce que nous avons toujours vécu loin les uns des autres.
La voix off s’est ensuite formée à partir de cette lettre, et répondait parfois à des images que je recueillais. D’une certaine manière, les textes et la voix ne sont pas là pour expliquer les images, mais pour flotter à leurs côtés, comme des petits échos, parfois tendres, parfois flous.
La figure d’Oliver, le chien, est évoquée au long du film, et il y prend le rôle d’un confident silencieux. Comment est apparue l’idée de cette interaction ?
Un confident silencieux, c’est précisément Oliver – simple, comme une ancre, un témoin intime et une « victime » silencieuse des émotions qui font surface sans explication.
Une autre image récurrente dans le film, mystérieuse et presque menaçante, est celle d’une voiture de course rouge, objet iconique chargé en références visuelles. Que signifie cette présence pour vous ?
La voiture de sport rouge m’a appartenu pendant sept ans. Je n’aurais jamais pensé être le genre de personne qui pourrait projeter autant d’émotion dans une voiture, mais apparemment si. La voiture est venue avec son bagage propre – le désir, la rapidité, l’ego, la masculinité – que j’ai voulu adopter, même avec de l’ironie. Mais au fil du temps, cette couche symbolique a cédé le passage à quelque chose de plus réservé.
La voiture est devenue personnelle. Elle a absorbé les souvenirs et les relations, comme une relique qui a fini par posséder une partie de moi. Ce n’est que lorsque j’ai voulu la vendre que j’ai réalisé à quel point je m’y étais identifiée. J’ai regardé l’intérieur en cuir qui se détériorait et j’ai ressenti à la fois un deuil silencieux et une sorte d’autodérision.
Quand j’ai conceptualisé le film, je voulais que la voiture ait une présence forte – sa couleur, ses égratignures, sa manière de se mouvoir, et de s’arrêter. Lors du montage, c’est devenu clair qu’elle devait vivre dans le film. D’une certaine manière, elle hante – pas de manière menaçante, simplement persistante. Comme un passé qui ne s’est pas volatilisé, seulement dispersé. Elle ne s’assoit pas dans le cadre, elle écoute, tourne, interrompt. Elle traverse les états à la dérive de la fille comme une trace, comme une condition dont on se souvient à moitié.
Les différents paysages – urbains et naturels – qui traversent le film semblent garder des traces, des souvenirs, des humeurs. Quel rôle jouent-ils pour vous, et comment avez-vous travaillé sur leur représentation ? Que signifie « nous avons tous des paysages à l’intérieur » ?
Les paysages dans le film sont une extension des états intérieurs de la fille. J’ai essayé de ne pas attribuer trop de sens fixe à chaque espace, et plutôt de les approcher de manière intuitive.
« Nous avons tous des paysages à l’intérieur » vient d’un message que m’a envoyé ma mère, accompagné d’une photo que j’ai oubliée depuis. Elle m’envoie souvent des messages comme ça : une photo de ses rencontres journalières, suivie de quelques mots ou d’une phrase qui résume ses pensées. Elles sont souvent directes, parfois ambiguës.
Alors que je me tenais devant le mur en brique d’un temple abandonné à Ulanqab, une région au centre-sud de la Mongolie-Intérieure, j’essayais de trouver un sens dans ce qu’elle m’avait envoyé. Le mur était érodé et seul au milieu de nulle part. En son milieu, il y avait une fenêtre sans vitre. À travers son cadre vide, un paysage étranger, très différent de ceux d’où je viens : des parcelles éparses de neige sur le côté d’une colline, de la terre rouge poudreuse au dessous, le tout respirant fort et brillant sous le soleil. Où que ce soit dans mon champ de vision, il n’y avait personne. J’étais debout dans l’obscurité, sans toit au-dessus. Ce mur de brique indépendant paraissait séparer deux monde.
Pendant ce long moment, j’ai ressenti une solitude et un soulagement profonds – c’est peut-être ça qu’elle voulait dire – que ce paysage étrange encadré de brique était, du fait, ma réalité inversée, et ce qui vivait à l’intérieur de moi.
Propos recueillis par Marco Cipollini