Un vent puissant secoue le feuillage des arbres. Les mains d’un homme tournent des pages, celles d’une femme lavent une assiette, font un lit, nettoient une baignoire, les bras d’une personne engloutie sous les vagues appellent à l’aide. Le visage d’une actrice célèbre, le regard plein de défi, apparaît. À partir d’extraits de films iraniens post révolution et d’une collection d’images florales, Maryam Tafakory imagine une fable vengeresse, qui associe la psychiatrie au contrôle du désir féminin et dans laquelle l’héroïne Daria se voit condamnée à la disparition pour avoir écrit un roman d’amour lesbien. Elle exhume ainsi des séquences où l’on voit des épouses sédatées, s’administrant des médicaments, parfois les dissimulant de leurs maris violents, et les entrelace à de magnifiques enluminures issues d’une pharmacopée ainsi qu’à des plans macro de plantes carnivores. Remède, drogue, poison, le récit décline différents usages des fleurs au travers de sombres prescriptions poétiques : « médicament pour induire l’oubli », « plante pour soulager la douleur d’aimer celle qu’on ne doit pas », « qui peut soigner et tuer à la fois »… Les échos de ces formules murmurées accompagnent le mystère de la narration (portée par la cinéaste elle-même), dont le drame se confond progressivement à celui de l’héroïne du roman, dénommée « bleue ». Celle-ci enveloppe le film de sa présence sibylline par une lumière bleutée tandis que des surimpressions de bouquets colorés en éveil parsèment les images. Maryam Tafakory imagine un langage secret propre aux fleurs qui font ici figure de pharmakon, et fait de celles de Daria un possible antidote à l’oppression des hommes, le temps d’un récit de survie émancipateur à revers des représentations dominantes. La dernière phrase, prononcée par une femme alitée, devient alors un appel à l’union, une aspiration à la libération par la disparition : « J’aimerais être Daria (la mer en farsi) ».
Louise Martin Papasian