Nsala, Nsala

Mickael-Sltan Mbanza

République démocratique du Congo, 2025, Noir et blanc, 10’

Première Mondiale

On entre dans Nsala par un son crescendo de pelles creusant la terre. L’image, nette, d’épaules musclées filmées en gros plan et en noir et blanc se fond rapidement dans une autre image, dont la détérioration matérielle signale le statut d’archive : un zoom arrière découvre progressivement le visage d’une femme noire, qui fixe la caméra puis baisse les yeux avec pudeur. Pour aborder l’histoire de l’exploitation minière dans la région du Katanga, Mickael-sltan Mbanza élabore un dialogue muet entre les époques, du passé de l’image présente au présent de l’image passée. Il s’empare de documents datant de l’époque où la république démocratique du Congo était encore une colonie belge pour les réactiver, et fait rejouer par un duo d’acteur·ices les gestes d’un couple soumis au travail de la mine. Au mépris de l’enregistrement et au point de vue déshumanisant du régime colonial, il oppose le respect et la délicatesse de son regard et porte l’attention sur des détails visuels et sonores. Dépouillant le film du poids des mots, le libérant de tout discours, Mickael-sltan Mbanza confie au montage parallèle le soin de dévoiler la persistance d’un système d’exploitation - de la terre et des corps. Mais s’il redonne à ces personnages les rôles qui leur étaient imposés par le système colonial, c’est dans un geste de ré-appropriation, par les moyens du cinéma, qui vient ainsi court-circuiter le système de représentation d’alors. Réifiés et réduits à leur seule force physique dans le passé, hommes et femmes peuvent redevenir sujets et retrouver leur dignité. Nsala nous montre ainsi que reprendre le contrôle de son image, c’est aussi reprendre ses droits sur l’histoire.

Louise Martin Papasian

Entretien

Mickael-Sltan Mbanza

Nsala a été créé dans le cadre de la résidence Mahindule au centre Yole!Africa. Le film mêle images d’archives et séquences tournées au présent d’un couple travaillant dans une mine. Quels ont été le contexte et la genèse de ce projet ?

Nsala est né dans le cadre de la résidence Mahindule organisée par le centre Yole!Africa à Goma.Cette résidence avait comme thème « trans-form », dont l’objectif était de questionner l’histoire coloniale au Congo, avec l’esthétique et la texture des archives. J’ai choisi de travailler autour de documents historiques des mines dans la région du Katanga, et d’observations contemporaines. La présence de mine artisanale ou industrielle dans notre quotidien est si massive qu’elle finit par devenir invisible. Le film est donc une tentative de rendre visible cette continuité, de montrer que ce que nous appelons « le présent » est traversé par des couches historiques non résolues.

Les images tournées aujourd’hui rejouent le passé colonial dans une forme de reenactment tout en introduisant l’idée d’une continuité historique. Pourriez-vous commenter cette dimension du film ?

Les séquences tournées aujourd’hui sont en effet pensées comme une forme de reenactment bien sûr, mais utilisé de manière subtile : il ne s’agit pas forcément de reproduire fidèlement, mais plutôt de réactiver une mémoire par le corps, le geste, mais aussi le lieu – résonner avec des images du passé. Cette friction entre deux temporalités permet, je l’espère, de rendre sensible l’idée que la violence coloniale ne s’est jamais véritablement arrêtée, qu’elle a simplement changé de forme. Le passé survit dans les rythmes du travail, dans les postures des corps, dans l’épuisement du corps.

Au-delà des allers-retours entre présent et passé, vous proposez des modifications de rythme des corps à travers de légères accélérations. Pourquoi ce choix ?

Les accélérations légères, presque imperceptibles, sont un moyen de perturber la linéarité du temps filmique. En modifiant subtilement la vitesse des corps, j’essaie de créer une étrangeté, un léger désaccord entre ce que l’on voit et ce que l’on ressent. C’est aussi une manière de souligner que le travail dans la mine produit une distorsion du temps vécu : les jours se ressemblent, les gestes se répètent, le corps se dissocie. Ce décalage renforce l’aspect spectral du film.

Les archives proviennent du Royal Museum for Central Africa. Quel est ce fond et comment s’est fait le choix de ces images en particulier ?

Les archives utilisées proviennent du Royal Museum for Central Africa à Tervuren, en Belgique qui les avait mis à la disposition de la résidence. Le choix s’est fait par affinité visuelle mais aussi par résonance thématique trans-form : j’ai sélectionné des images où les corps sont observés, classifiés, mis au travail. Des images où l’on sent, malgré leur apparente neutralité, une volonté de contrôle. J’ai voulu détourner cette archive, non pour l’illustrer, mais pour en exposer les mécanismes et les prolongements.

Pourquoi avoir fait le choix d’un film muet, sans parole ni commentaire ?

Le choix de ne pas inclure de parole ni de commentaire s’est imposé très tôt. Il s’agissait pour moi de créer un espace de silence où le spectateur puisse projeter ses propres sensations. La parole risquait d’enfermer le sens, de réduire les images à un discours.

La bande-son du film est précise et minimaliste, le silence alterne avec des sons isolés présents au premier plan. Dans quelle direction l’avez-vous élaborée ?

La bande-son a été conçue comme un tissu sonore très fin, presque fragile. J’ai travaillé à partir de sons concrets captés sur les lieux des d’aujourd’hui : des bruits de pierres, de pioches, de respiration, de frottements. Ces sons sont mixés de manière à ce qu’ils soient parfois à la limite de l’audible, puis tout à coup très présents. Il s’agit de faire entendre l’effort, la tension, mais aussi les moments de suspension. L’absence de musique renforce cette attention aux détails sonores. J’ai voulu que chaque son devienne un événement en soi.

Propos recueillis par Louise Martin Papasian

Fiche technique

  • Sous-titres :
    -
  • Scénario :
    Mickael-Sltan Mbanza
  • Image :
    Mickael-Sltan Mbanza, Danny Amisi
  • Montage :
    Danny Amisi
  • Son :
    Frédérick Frunelle
  • Production :
    Ndaliko Petna (Alkebu Films et Production)
  • Contact :
    Maia Ihemeje