Filme Sem Querer met en scène un groupe de trois jeunes cinéastes de Capão Redondo qui tourne un film pour candidater à une bourse proposée par l’Institut Levando Cinema. Comment est né ce projet ? Cet institut a-t-il été inventé pour la fiction ?
Oui, le nom a été inventé pour la fiction, mais il vient d’une situation réelle, où pendant la pandémie du COVID-19, des personnes de l’industrie du cinéma se sont violemment emparé de ressources prévues pour les actions d’urgences dans les favelas brésiliennes. Les populations dans le besoin ont alors réalisé qu’elles étaient utilisées mais étaient toujours en manque de ressources de base pour vivre. C’était une période très triste au Brésil, non seulement parce que nous avions un gouvernement fasciste au pouvoir avec Jair Bolsonaro, mais aussi parce que les personnes du secteur de la culture ont pris avantage des failles du système et exploité la situation. On peut donc dire que le nom de l’institution change dans le film, mais que la pratique révèle la quantité d’institutions qui agissent comme celle représentée dans le film.
Parmi les interprètes, on retrouve notamment Francineide Bandeira, avec qui vous aviez déjà collaboré dans Filme de Domingo (2020). Pourriez-vous nous parler de votre travail avec iels ? Ont-iels participé à l’écriture du film, plus particulièrement aux scènes de discussion ?
Oui, tous les acteurs ont participé à l’écriture du script. Nous sommes une coopérative cinématographique, dont je suis membre, et dans ce film j’agis comme réalisateur. Dans d’autres films de notre filmographie, je joue d’autres rôles, même celui d’acteur.
Une partie très importante du processus de réalisation du film a été de faire appel aux expériences que nous avons vécu, qui ont pour beaucoup été très traumatisantes, puisque nous travaillons et faisons nos films de manière intrinsèquement liées à la communauté, et pendant la pandémie nous avons souffert de la faim, même si notre nom était reconnu dans un certain circuit cinématographique. Nous avons donc discuté des scènes en groupes, et les acteurs eux-mêmes ont participé à la réalisation du film. Le script que j’avais était comme un patchwork d’écriture, mais il a toujours dépendu de ces corps, ces voix et cet aspect documentaire d’exprimer le sentiment d’injustice sans accorder à notre bourreau ce qu’il veut : notre mort. Nous avons donc fait face à cette « dépression de classe » précisément en donnant aux acteurs la liberté de proposer ; en tant que réalisateur, ma mission a été de créer un environnement qui permettait à tous de se sentir à l’aise avec le fait d’expérimenter, à la fois face à et derrière la caméra. Je voudrais souligner le travail de design sonore de Priscila Nascimento, par exemple, parce que dès le début nous voulions jouer avec l’idée d’un son qui ne soit pas « parfait », et avoir une caractéristique d’axes sonores brisés, comme s’il y avait à tout moment quelque chose qui ne fonctionne pas. Puis, lorsque le film se déroule, on réalise que l’erreur a été une position politique, et que le fait de faire un film « involontairement » est une forme d’expérimentation puissante face à l’oppression du cinéma paternaliste et du capitalisme contemporain.
Vous utilisez le contexte du Covid et les masques que portent les personnages pour jouer avec humour sur leurs paroles et leur faire dire des éléments de plus en plus douteux. En quoi cet objet vous a-t-il inspiré pour la mise en scène ?
L’idée du film provient exactement de la situation dans laquelle elle prend place : après avoir dû faire des vidéos et écouter des personnes qui posaient des questions sur les morts dans notre quartier pendant la pandémie, je me suis rendu compte quand j’ai commencé le montage que je n’arrivais pas à localiser le discours à cause des masques, et il m’a paru puissant d’inverser le jeu d’intention qui est présent dans ce type de relation institutionnelle. Cela a été très amusant pour moi de pouvoir réécrire l’intégralité du film parce qu’il y avait quelque chose qui couvrait les bouches, une grande métaphore pour la situation réelle que présente le film.
Le film est ponctué de cartons qui mentionnent avec ironie la « colline du cinéma ». Pourquoi ce choix ?
Il y a beaucoup de collines dans mon quartier, et j’ai toujours trouvé curieux le mouvement des corps qui montent et descendent ces collines. Le mot morro (colline) en portugais peut aussi avoir un sens dérivé de morrer (mourir). J’ai donc réfléchi à une rime audiovisuelle qui pourrait emmener ces « collines » et ces morts dans le film. Le film commence par une chanson de la rappeuse Brisa Flow, qui répète : « Reste en vie, ce sont des jours d’amour et de guerre », et finit par une chanson de Mateus Fazeno Rock qui dit « C’est la mort de l’oubli, la mort coloniale, sans hâte, avec douleur et souffrance », qui affirme que tuer l’oubli est essentiel. Je peux donc dire que ces collines et ces morts m’apprennent à faire de l’art, et à regarder avec sensibilité le sol sur lequel je me tiens et le ciel dans lequel ma tête navigue.
La musique est présente à travers des morceaux de rap à trois moments clés du film. Que vous permet la musique dans vos films et dans celui-ci en particulier ?
J’aime considérer le cinéma comme du hip-hop, et que les personnes qui viennent d’endroits comme celui d’où je viens peuvent être inspirées par les éléments de cette culture riche et trouver dans cette forme d’art quelque chose bien plus proche d’eux que le cinéma en lui-même. Petit à petit, je sens que nous construisons un cinéma qui est plus proche de la logique du sampling créée par les premiers DJ de l’histoire, où les machines sont humanisées, exercent leur pouvoir créatif, et réinventent les formes qui viennent de vieilles archives et chansons. En ce sens, le rap, comme élément de la culture hip-hop, n’est pas seulement traité dans mes films comme quelque chose qui permet de manipuler le spectateur sur un plan superficiel. RAP signifie Rhythm and Poetry, donc j’aime imaginer que que les chansons parlent tout comme les personnages parlent. Mais pas seulement, parce que mon rêve est de faire des films qui font danser les gens, ou au moins qui les font bouger, les font voir la réalité dans laquelle ils vivent d’une manière poétique et rythmique.
Vous dédiez ce film au cinéaste brésilien Adirley Queiros (à qui le FID a dédié une rétrospective en 2024). En quoi son cinéma a-t-il influencé votre travail ?
Pour moi, Adirley est un OG (Old Gangsta). Quand j’ai vu A Cidade É uma Só pour la première fois, c’était comme entendre du rap pour la première fois, mais dans une salle de cinéma. Quand je l’ai rencontré, je faisais déjà des films depuis quelques années, et nous nous sommes immédiatement identifiés l’un à l’autre de par nos positions politiques et notre désir de raconter des histoires depuis notre territoire. Nous sommes devenus très amis et, pour moi, c’est toujours très important de l’écouter, parce que depuis que j’ai commencé à faire des films, je me sens très orphelin, sans personne de ma classe, des personnes indigènes qui avaient aussi fait des films et ont également leur œuvre propre. Aujourd’hui, grâce aux politiques publiques positives et aux coûts de production plus bas, nous sommes beaucoup dans le monde ; il suffit de regarder pour nous voir. Mais pour moi, Adirley reste la voix d’un aîné qui n’est pas satisfait du statu quo et continue à défendre notre culture et à faire des films radicaux qui prennent des risques, ce qui pour moi est essentiel au fait de faire du cinéma.
Propos recueillis par Louise Martin Papasian