Comme Ziffel et Kalle, les réfugiés juifs allemands des Dialogues d’exilés (1940) de Bertolt Brecht dont s’inspire ce projet, Fadi et Rami sont deux exilés. Mais eux sont syro-libanais et vivent en 2021 dans une ville européenne au bord de la Méditerranée. Quand ils se rencontrent pour la première fois au buffet de la gare maritime, ils engagent une conversation sans introduction. S’en suit une série d’entrevues imprévues et de discussions dans lesquelles le quotidien et les considérations politiques, le particulier et le général, sont abordés tantôt avec ironie mêlée de mélancolie, tantôt sous les jeux du paradoxe. Sur fond de ce qu’il est convenu de nommer « la crise migratoire qui s’abat sur l’Europe », Fadi et Rami devisent librement sur une multitude de thèmes. Leurs échanges à bâton rompu en reviennent souvent à la cause de leur exil : la guerre post-coloniale. Comme l’exil, on le sait, rend l’esprit plus aiguisé, ils évoquent tous les sujets avec dialectique et humour. L’arabe parlé, comme leur dialecte beyrouthin, s’y prêtent aisément et nous offrent un langage ciselé, un tourbillon de mots dans un lieu clos, lieu de transit traversé d’inconnus et ouvert à tous.
Eyal Sivan