Xurxo Chirro est féru d’archives et travaille comme documentaliste pour la télévision régionale. C’est à l’occasion de ses recherches qu’il tombe sur quatre casettes VHS totalisant 16 heures de rushes, étiquetées Vikingland. Luis, marin expatrié, migrant comme tant de ses compatriotes galiciens, est le héros de cette saga vidéo très particulière. En effet, rien d’épique ici. À l’inverse, de l’anecdotique, et son insistance. De l’apprentissage du maniement de la caméra qu’il vient de se procurer aux longues heures de travail sur le ferry qui transite du Danemark à l’île de Sylt en Allemagne où il a été embauché comme manutentionnaire, en passant par les temps morts dans sa cabine où il se douche, s’habille, se change comme un lointain cousin de Buster Keaton, sans oublier un lugubre repas de Noël entre collègues, Luis s’est enregistré durant tout un hiver sans relâche, sans hiérarchiser les situations, sans mesurer même le comique qu’il produit involontairement parfois. C’est un tel matériel, ingrat, à la fois narcissique et témoignage cru de la condition d’exilé, que Chirro, pour son premier film, a choisi de monter. On comprendra aisément ce qui se joue là. D’une part, une manière d’hommage aux pratiques amateurs et à ce qu’elles recèlent de désir éperdu de motiver une existence par ailleurs sans image d’elle-même. D’autre part, justement, la possibilité de donner à voir, exhaustivement, les gestes et les scansions d’une vie paradoxalement recluse dans un voyage qui redouble l’éloignement forcé hors de chez soi.
Jean-Pierre Rehm