Filmer un cinéaste, ça peut sembler tout naturel, réponse attendue du berger à la bergère. C’est au contraire bien sûr une audace. Et sauf à s’en tenir au service minimum, un défi plutôt risqué. L’astuce d’Antoine Barraud est de tourner l’exercice d’admiration en exercice d’étrangeté. Filmer le cinéaste comme une plante rare, exotique. Il fait ici littéral : Kohei Oguri, fameux fabricant d’images japonais, ne se tient plus derrière la caméra, il sera autre, il sera son oeuvre, arbre parmi les arbres. Et de même qu’il y a des plantes grimpantes, Oguri sera une plante parlante. Ce qu’elle raconte, posément, patiemment, emprunte forcément sa sagesse à la lenteur végétale. C’est pourquoi, même à son domicile, quelque chose s’obstine avec douceur, pour faire signe encore en direction du décor autour de sa maison.
Bien sûr, Oguri est animiste. Bien sûr, il a derrière lui une longue carrière qui lui offre de quoi nous rassasier de considérations plus souveraines les unes que les autres, utopiques pour de vrai, affranchies de toute compromission. Ce Grand Prix du Jury de Cannes en 1990 avec L’aiguillon de la mort n’a cédé sur rien, et surtout pas sur la poésie du quotidien, celle que son cinéma s’est donné pour mission de cueillir film après film. C’est donc bien à partager des secrets qu’Antoine Barraud, lui-même sous le charme, stupéfait, nous invite.
Jean-Pierre Rehm