En ouverture, un mot : lumière, lettres noires sur fond surexposé, typographie à la matière vibratile, palpable. Voilà le programme du film d’Eric Pellet. Il superpose plusieurs ambitions. 1. Explorer le contraste: le passage du noir au blanc, l’infini nuancier des gris. C’est-à-dire l’étendue des visibilités, espérée aussi riche que l’éventail des noms de la neige chez les Inuits. 2. Jouer, vieille histoire toujours sous-exploitée, des liens labiles entre image et texte. Puisqu’une voix, celle de Jean-Marie Gleize, écrivain, récite un poème qui prête son titre au film. Noeuds lâches ou étranglés d’échos, de redondances, d’écarts, de correspondances généreuses. 3. Produire, là sous nos yeux, le corps du délit. Qui n’est autre que le « réel », souterrain, accidenté, naturalisé, animal, crépusculaire, etc., enfin vu, après avoir été dit ou lu. 4. Corps aussi, qui naît d’un récit par la grâce duquel quelque chose se met sourdement à consister au-delà des seuls battements lumineux. 5. Corps du texte, donc, objet du livre. 6. Corps enfin, exemplaire, à mi-chemin entre cadavre et relique, célèbre squelette d’un esquimau retrouvé dans un musée par celui qui, ô émoi, s’en reconnaît le fils.
Inhumer, exhumer ; dévaler la nuit, faire remonter au jour ; encourager les disparitions, appuyer les apparitions ; faire entendre, laisser apercevoir ; laisser dire, pointer la montre. C’est dans ces allers-retours, refus qu’envisager se distingue de lire, que Noir-Écran, très loin de la conventionnelle adaptation, revendique une véritable écriture, rare cinémato-graphie.
Jean-Pierre Rehm