Au départ, Secret Sharer, un récit de Conrad de 1910. Une histoire de marins, comme souvent, où vont fleurir, comme souvent, des intrigues multipliant les doubles, les subordinations ambiguës, les rapports indémêlables, les humiliations recherchées, les désirs contenus. Secret est le maître mot chez Conrad. Il est familier à Thomas Bauer, dont les précédents Hear Mud in your Eye et Rene O. (FID 2003 et 2005) en tiraient l’essentiel de leur substance. Aucun changement de cap donc, un entêtement en direction de l’artifice, ce mensonge de l’art, et de ses révélations paradoxales. Voilà, ici par exemple, le navire à terre, devenu sommaire assemblage de planches ouvert au vent et flottant sur une verte prairie. Voilà un capitaine par exemple, des seconds, des mousses, des personnages qui sont d’abord des acteurs. Voilà un texte qui se chuchote, des dialogues qui se monologuent, des confidences tanguées qui s’adressent au ciel, des confrontations aveugles, un récit qui se confond dans les méandres de ses complications. On l’aura compris, le secret qui importe ici, comme rarement, celui qui mène la barque, c’est avant tout celui de la représentation, celui du jeu, sécrétion de la vérité.
Jean-Pierre Rehm