Cela ressemble d’abord à une archive exhumée. Le mutisme, le noir et blanc passé, la pellicule qui paraît porter les stigmates vibratiles d’une conservation hasardeuse, la pose des sujets dévisageant obstinément la caméra, le cadrage rigoureux qui rassemble les groupes d’hommes et de femmes, d’enfants, dans la solidarité de leur grâce compacte, tout contribue à l’illusion d’un morceau de temps préservé. Mais un réveil sonne, c’est aujourd’hui, en France, en 2007. Des détails l’indiquent sans équivoque : publicités, typographies, indices infimes par où se glissent les signes nécessairement futiles d’une reconnaissance du contemporain. Il ne s’agit pas pourtant de fabriquer un faux, ni de ménager façon malin un retournement décevant mais conclusif. Plutôt tenter de capter une inactualité, et la traduire sans la travestir sous les habits inadéquats du présent. Ces gens du voyage et leur campement de fortune, car ce sont bien eux et leurs visages saisis immémoriaux, résistent-ils à la misère ? Ou, lu tout autrement, rechignent-ils, libres des canons frelatés, à se fondre dans notre chronologie ? La réponse n’est pas donnée, le film, on l’aura noté, se plaît à faire défiler des images dans les deux sens, en surimpression.
Jean-Pierre Rehm